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Alice émerveille

Strasbourg
Opéra national du Rhin
02/11/2022 -  et 12, 13 février (Mulhouse), 18, 19, 20, 22*, 23 février (Strasbourg) 2022
Alice
Amir Hosseinpour & Jonathan Lunn (chorégraphie et dramaturgie), Philip Glass (musique)
Sunnyi Melles (actrice), Ballet de l’Opéra national du Rhin
Bruno Anguera Garcia (piano), Orchestre symphonique de Mulhouse, Karen Kamensek (direction musicale)
Anne Marie Legenstein (scénographie et costumes), Fabrice Kebour (lumières), David Haneke (vidéo et animation des peintures), Robert Israël (peintures)


(© Agathe Poupeney)


Tout le monde connaît Alice aux pays des merveilles, mais on connaît moins le personnage de sa dédicataire, Alice Liddell  (1852-1934), la petite fille à laquelle Charles Dodgson, alias Lewis Carroll, racontait des histoires extravagantes et passionnantes, en la promenant en barque le dimanche dans la campagne autour d’Oxford. Devenue une respectable dame anglaise, au destin artistique et social confortable, elle survécut de trente‑six ans à l’homme étrange et fantasque qui la fascinait tant quand elle avait dix ans.


C’est au moins autant cette Alice‑là, que celle du conte, qui est le sujet de ce nouveau ballet, de loin pas la première adaptation chorégraphique, voire lyrique, de l’œuvre de Lewis Carroll. Mais cette fois l'approche est très libre voire onirique, autour des souvenirs d’une personne fatiguée et vieillissante, qui se remémore à la fois la fantaisie des contes entendus dans son enfance et l’attachante excentricité de son narrateur. Ce rôle d’Alice Liddell âgée est tenu par Sunnyi Melles, actrice d’une bonne notoriété sur les scènes germaniques, à laquelle est dévolu un texte anglais quelque peu long et encombrant. Ecrit ou adapté par qui ? Curieusement c’est la seule information qu’on ne trouve nulle part dans le programme. Au cours de ses remémorations, l’actrice endosse aussi, alternativement, le costume de Lewis Carroll en personne, ce qui ne contribue pas à clarifier le propos. Mais peu importe en fait, car le réel pouvoir d’envoûtement de la soirée n’est pas là. Curieux paradoxe d’ailleurs que ce rôle d’actrice, essentiel mais jamais vraiment passionnant, à l’exception du moment de grâce où Sunnyi Melles entonne d’une voix fatiguée mais pleine de charme un extravagant The Lobster Quadrille, chanson de cabaret d’un esprit très Broadway.


Tout le projet de ce ballet, mûri de longue date, s’est construit sur ces bases un peu vacillantes, mais quelle épatante construction ! Une heure trente d’éblouissement, où l’imagination prend le pouvoir dès les premières péripéties, et ne vous lâche plus (dommage simplement qu’un entracte, peut‑être pas vraiment utile, vienne relâcher cette tension). Il y a d’abord les peintures du scénographe Robert Israel, projetées tantôt sur un tulle transparent à l’avant‑scène, tantôt à l’arrière-plan, saisissants effets tri‑dimensionnels élaborés en collaboration étroite avec le vidéaste David Haneke. Et puis il y a aussi l’imagination chorégraphique d’Amir Hosseinpour et Jonathan Lunn : des mouvements d’une stupéfiante originalité, à la fois anguleux et fluides, jaillissements imprévisibles, saccades, bascules brutales des centres de gravité... autant les grands ensembles que les solos sont une source perpétuelle d’émerveillement. Personnellement, on avoue avoir éprouvé parfois quelque agacement à l’égard du travail passé d’Amir Hosseinpour, mais là, on ne peut que rendre les armes devant le résultat, catalysé par un travail d’équipe au plus haut niveau. Et qu’il soit proliférant, totalement excentrique, brassant une foultitude de références qui n’ont a priori que peu de rapport immédiat avec le sujet, n’importe plus du tout, tant le résultat s’avère continuellement génial.


On n’a pas encore parlé de musique, et pourtant il s‘agit, quand même  (!), de la création mondiale d’une nouvelle partition de Philip Glass, 85 ans, qu’on ne présente plus. Un musicien qui aura passé sa vie à répéter inlassablement des structures analogues, et auquel on ne va évidemment pas reprocher ici de s’auto‑paraphraser, même si c’est le cas. Alice fait la part belle au piano, parties dans lesquelles on ne peut s’empêcher d’identifier de nombreuses parentés avec les Etudes du même. Les séquences d’orchestre ne sont qu’intermittentes, elles aussi typiques, à l’exception de fanfares de cuivres dans la seconde partie, qui instaurent des équilibres relativement nouveaux. Le tout sous la direction de Karen Kamensek, éminente « glassienne », qui réussit plutôt bien à inculquer cet idiome à un Orchestre symphonique de Mulhouse pétri de bonne volonté. De toute façon, rien à faire, Philip Glass a beau se répéter, il reste unique, et dès les premiers accords tout fonctionne. On adore, ou épidermiquement on déteste, mais, fondamentalement, qui peut vraiment résister ?


En tout cas cette musique est un support rêvé pour la danse, et le Ballet de l’Opéra national du Rhin saisit brillamment l’occasion. Les ensembles explosent, jouent à cache à cache avec éléments de décor mobiles et accessoires surgissant à volonté de nulle part, l’humour pétille partout  (extravagantissime Anna‑Karina Enriquez‑Gonzalez en Reine de Cœur) voire des instants de poésie incroyables, tel cet ondoyant solo de Ryo Shimizu en Chat du Cheshire, en étroite union avec une table tournant inexorablement sur son axe. Vraiment, le Ballet de l’Opéra national du Rhin et son directeur Bruno Bouché ont gagné là un beau titre de gloire : un ballet à populariser largement, et que la compagnie devrait pouvoir garder longtemps à son répertoire.



Laurent Barthel

 

 

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