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Prise de rôle réussie pour Hélène Carpentier

Normandie
Rouen (Théâtre des Arts)
02/25/2022 -  et 27 février, 1er mars 2022
Christoph Willibald Gluck : Iphigénie en Tauride
Hélène Carpentier (Iphigénie), Jérôme Boutillier (Oreste), Ben Bliss (Pylade), Pierre‑Yves Pruvot (Thoas), Iryna Kyshliaruk (Diane, Seconde prêtresse), Sophie Boyer (Première prêtresse, Une femme grecque)
Chœur accentus / Opéra de Rouen Normandie, Christophe Grapperon (chef de chœur), Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, Christophe Rousset (direction musicale)
Robert Carsen (mise en scène, lumières), Philippe Giraudeau (chorégraphie), Tobias Hoheisel (décors et costumes), Peter van Praet (lumières)


H. Carpentier (© Marion Kerno/Agence Albatros)


Nommé en 2017 à la tête de l’Opéra de Rouen Normandie, Loïc Lachenal (né en 1978) n’hésite pas à prendre la parole peu avant le spectacle afin de sensibiliser les spectateurs aux résonances locales du conflit guerrier qui a embrasé l’Ukraine la veille. Deux interprètes sont ainsi directement touchés, du fait de leur nationalité, respectivement géorgienne et... ukrainienne. Mais la production a aussi enduré de nombreuses déconvenues au niveau du rôle‑titre, d’abord destiné à Karine Deshayes, avant que Véronique Gens ne renonce à son tour. C’est finalement la jeune Hélène Carpentier (née en 1996), révélation classique de l’Adami en 2018, qui fait ses débuts dans ce rôle ô combien délicat, appris en seulement deux jours pour pouvoir commencer les répétitions avec toute l’équipe. Le pari est relevé haut la main, tant la soprano fait valoir une musicalité et une présence saisissante tout du long, et ce malgré des premières interventions trop prudentes au début – le trac sans doute. Mais quelle assurance ensuite dans la projection parfaitement maîtrisée sur toute la tessiture, tandis que la rondeur d’émission et l’incarnation dramatique expliquent logiquement l’ovation reçue en fin de soirée ! A peine pourra‑t‑on souhaiter une attention au texte plus soutenue dans les récitatifs, pour les prochaines représentations.


C’est là le point fort reconnu de Jérôme Boutillier (Oreste), qui impressionne encore dans ce domaine par ses qualités d’articulation, même si son premier air manque quelque peu de chair pour se saisir des intentions tragiques, attendues. Il convainc davantage en seconde partie par la finesse du développement de ses états d’âme, permettant de rendre crédible la hauteur de vue de sa volonté de sacrifice. Autre grande satisfaction de la soirée, Ben Bliss (Pylade) reçoit des applaudissements aussi chaleureux qu’amplement mérités, tant son éloquence radieuse nous emporte d’emblée par sa sincérité directe. Cet élan dramatique donne à son duo avec Oreste un éclat toujours percutant, passant aisément la barrière de l’orchestre. A ses côtés, on regrette que Pierre‑Yves Pruvot déçoive autant dans son rôle de Thoas, au vibrato trop prononcé, sans parler de son timbre terne et rêche. C’est là la seule fausse note de cette soirée en tout point réussie, à l’instar des seconds rôles parfaits, dominés par la superlative Diane d’Iryna Kyshliaruk. Que dire aussi du chœur accentus / Opéra de Rouen Normandie, qui ne nous a jamais semblé aussi à l’aise dans la précision de ses interventions – il est vrai magnifié par la spatialisation de son opportune répartition dans la salle (en deux groupes hommes/femmes) ?


Pour ses débuts à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, Christophe Rousset n’a pas fait le choix des instruments d’époque (contrairement à Alessandro De Marchi, entendu voilà un mois avec les mêmes interprètes, dans le méconnu Don Juan de Gluck) : pour autant, le chef français n’a pas son pareil pour chauffer les cordes à blanc dans les parties verticales, volontiers péremptoire et ivre de tempi rapidissimes par endroit. La finesse des passages plus lyriques, admirablement étagés et nuancés, donne un relief toujours passionnant de couleurs exacerbées, qui rappelle combien Rousset connait ce répertoire sur le bout des doigts (voir notamment ces enregistrements des Horaces et Tarare de Salieri, le plus célèbre élève de Gluck).


La production de Robert Carsen, déjà acclamée dans le monde entier, de Londres, Chicago à San Francisco, en passant par Madrid et Toronto en 2011, puis Paris en 2019, emporte d’emblée l’adhésion par sa capacité à entrer dans le drame avec une étonnante économie de moyens. Privée de tout accessoire, à l’exception d’un petit module qui se soulève à deux reprises pour figurer un autel, la scénographie très sombre joue sur la variété des éclairages afin de révéler des tableaux fugitifs, animés par le rythme tourbillonnant des danseurs autour des rôles principaux. Un rien répétitif sur la durée (notamment dans le premier tableau après l’entracte), ce dispositif incite à une opportune concentration sur les tourments des rôles principaux, souvent hagards face à des événements qui les dépassent. Il faut dire que le livret baisse en qualité en seconde partie, ce qu’un Piccini, également auteur d’une Iphigénie en Tauride à la même époque que Gluck, a tenté de corriger en donnant davantage de profondeur au rôle de Thoas, devenu amoureux d’Iphigénie. Quoi qu’il en soit, la musique étourdissante de Gluck, toujours au service du texte, sait faire oublier ces quelques faiblesses et nous emporter dans le destin tragique de ces figures bien connues de la mythologie antique, pour le plus grand bonheur du chaleureux public de Rouen, visiblement ravi.



Florent Coudeyrat

 

 

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