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Eros contre Agapé en rouge et noir

Milano
Teatro alla Scala
02/10/2022 -  et 16*, 19, 22, 25 février, 2 mars 2022
Jules Massenet : Thaïs
Marina Rebeka (Thaïs), Lucas Meachem (Athanaël), Giovanni Sala (Nicias), Caterina Sala (Crobyle), Anna-Doris Capitelli (Myrtale), Valentina Pluzhnikova (Albine), Federica Guida (La charmeuse), Insung Sim (Palémon), Jorge Martínez (Un serviteur), Luigi Albani, Renis Hyka, Michele Mauro, Andrea Semeraro, Massimo Pagano, Giorgio Valerio (Cénobites)
Coro del Teatro alla Scala, Alberto Malazzi (préparation), Orchestra del Teatro alla Scala, Lorenzo Viotti (direction musicale)
Olivier Py (mise en scène), Pierre-André Weitz (décors et costumes), Bertrand Killy (lumières), Ivo Bauchiero (chorégraphie)


(© Brescia e Amisano/Teatro alla Scala)


Thaïs n’avait connu jusqu’ici à la Scala qu’une seule série de cinq représentations, en italien, en 1942, à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Jules Massenet. L’illustre théâtre vient de combler cette longue absence en proposant pour la première fois la version française de l’ouvrage. La production a été confiée à Olivier Py, qui a fait pour l’occasion ses débuts à Milan. Qui mieux que le trublion du théâtre français pouvait mettre en scène cet opéra de tous les excès, dans lequel l’érotisme le plus charnel se mêle à l’amour divin inconditionnel ? Si le spectacle a été une nouveauté pour le public milanais, les mélomanes francophones y ont, pour leur part, immédiatement reconnu la « patte » du directeur du Festival d’Avignon et de son fidèle complice scénographe, Pierre-André Weitz : atmosphère sombre et glauque, structures métalliques à plusieurs niveaux, néons à profusion, sans oublier bien évidemment les inévitables danseurs et figurants à moitié dévêtus. Olivier Py a transposé la confrontation entre Eros et Agapé dans un cabaret façon Crazy Horse et un bâtiment gris et sans âme de l’Armée du Salut. Nicias est ici le propriétaire de l’établissement dans lequel Thaïs a séduit les clients par ses charmes. Le metteur en scène n’y va pas de main morte : le spectacle s’ouvre sur une petite chapelle installée sur un coin de la scène et coiffée d’une énorme croix blanche illuminée au néon ; de cette chapelle sort une femme à la poitrine nue et au rire particulièrement sonore. A l’arrière-plan, le cabaret baigne dans une lumière rouge vif. Sur plusieurs étages, danseuses et danseurs se préparent et se maquillent avant le show, avec force gestes et mouvements langoureux. Autre provocation : une scène de crucifixion, durant laquelle un homme cède sa place sur la croix à une femme. Le public de la Scala, qui a pourtant la réputation d’être plutôt conservateur, n’a pas bronché et a même accueilli la représentation avec des applaudissements enthousiastes. Car si Olivier Py aime les excès, il ne manque pas de culture : les différents niveaux de son cabaret portent des citations de La Divine Comédie de Dante et certaines scènes sont clairement inspirées de La Tentation de saint Antoine façon Matthias Grünewald ou Félicien Rops, dont les tableaux sont encartés dans le programme de salle. Quant aux Cénobites, ils deviennent chez Py des bénévoles de l’Armée du Salut vêtus de noir, qui distribuent une soupe populaire au début du spectacle puis chantent en faisant la quête, avant de venir saluer Thaïs sur son lit mortuaire. Et on n’oubliera pas de sitôt le magnifique pas de deux exécuté par Emanuela Montanari et Massimo Garon pendant la célèbre Méditation, sans conteste un des moments forts du spectacle.


La soirée est illuminée par la superbe Thaïs de Marina Rebeka, voix sensuelle et voluptueuse comme une caresse, avec des aigus splendides ayant l’éclat d’un diamant, une infinie douceur dans les pianissimi enivrants et des accents déchirants dans les élans mystiques du dernier acte. S’il est bien le moine fanatique et rigide du début du livret, le Nathanaël de Lucas Meachem peine à camper toutes les facettes de son personnage, notamment l’amoureux ivre de désir, l’interprète étant de surcroît souvent contraint de chanter en force. Confondant de présence scénique, en talons aiguilles rouges et au torse nu couvert de bijoux, le Nicias de Giovanni Sala ne convainc pas entièrement sur le plan vocal, d’autant que son français n’est guère compréhensible. La Scala a eu la main heureuse en dénichant de jeunes chanteuses de talent pour les rôles des courtisanes. Mais le second atout de la soirée est la direction musicale de Lorenzo Viotti, à la tête de l’orchestre maison. Le résultat est d’autant plus stupéfiant que la formation ne joue pas Massenet tous les jours, tant s’en faut. Le chef réussit néanmoins à en tirer de superbes couleurs et de splendides nuances, avec un vrai sens du détail. La lecture est délicate et raffinée, mais le jeune maestro n’en oublie pas pour autant le drame, avec des fulgurances ardentes, mais toujours dans la transparence et sans jamais appuyer les passages parfois pompiers et grandiloquents. Du grand art.



Claudio Poloni

 

 

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