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Hugues Dufourt nous arrime à sa Horde

Paris
Maison de la radio et de la musique
02/08/2022 -  
Tristan Murail : Near Death Experience  (* +) – Liber Fulguralis (*)
Hugues Dufourt : La Horde d’après Max Ernst (création)
Liza Lim : Speak, be silent (#)

Diana Tishchenko (violon) (#), Philippe Moënne‑Loccoz (réalisation informatique musicale) (+)
Lemanic Modern Ensemble, Pierre Bleuse (direction)
Hervé Bailly‑Basin (vidéo) (*)




La classe d’Oliver Messiaen, au Conservatoire de Paris, aura vu défiler plusieurs générations de compositeurs. Si tous ont écouté avec gourmandise le professeur décortiquer au piano les profils mélodiques de Mozart, les harmonies modales de Debussy et les personnages rythmiques de Stravinsky, le créateur a été évalué moins selon des critères immuables qu’à l’aune des préoccupations du moment : la génération Boulez-Barraqué-Stockhausen s’est focalisée sur les Quatre Etudes de rythmes qui, conjuguées aux leçons des Viennois dispensées par l’apostolat de René Leibowitz, allaient donner naissance au sérialisme intégral ; la génération Murail-Levinas-Grisey, elle, a préféré retenir « l’harmonie‑timbre » de l’auteur de la Turangalîla‑Symphonie, jointe au travail sur le son de Giacinto Scelsi dont l’œuvre, (re)découverte avec enthousiasme, jouera un rôle décisif dans la naissance du spectralisme. Autant Wolfgang Rihm, personnalité à l’honneur du festival Présences 2019, récusait le terme de « Nouvelle simplicité » (« une chimère de journalistes »), autant Tristan Murail (né en 1947) assume son appartenance au mouvement « spectral » (« Bien sûr, c’est réducteur ! comme sériel, comme tonal, comme impressionnisme... Néanmoins il faut bien classer les choses. »), ainsi baptisé par Hugues Dufourt à qui les programmateurs ont judicieusement passé commande pour ce concert d’ouverture.


Tout compositeur arrivé à maturité a le choix entre deux options : 1/ perpétuer le même style, se condamnant ainsi à devenir son propre épigone ; 2/ tenter de se renouveler... quitte à faire fausse route. Les œuvres récentes de Tristan Murail ont pu nous surprendre en ce que les formes – concerto pour piano (Le Désenchantement du monde, 2012), cycle de mélodies (La Vallée close, 2016) – ne semblaient pas toujours s’accorder avec son univers qui prédilectionne le fondu sur la confrontation, l’instrumental sur le vocal. L’intérêt de cette trente‑deuxième édition du festival Présences – très alléchante sur le papier – est de mettre en perspective, de confronter une poignée d’opus significatifs, dessinant ainsi la trajectoire d’un des compositeurs les plus importants de notre temps.


Signalons au passage l’inauguration de deux expositions : la première, consacrée au fondateur du festival Présences Claude Samuel (disparu en juin 2020), se tient à l’Agora de Radio France ; la seconde, sise à la Philharmonie de Paris, rend hommage à Iannis Xenakis à l’occasion du centenaire de sa naissance. Xenakis, dont Eonta fascina Murail lors de sa création par Pierre Boulez en 1964...


Dans Speak, be silent (2015), Liza Lim (née en 1966) assemble gestes, modes de jeu et clichés qui se veulent un retour à « l’essence même du concerto ». On l’écoute comme on observerait les « accumulations » d’Arman : la première impression, globale, entrevoit une juxtaposition de phénomènes ; la seconde, détaillée (l’œil écoute), distingue une pléiade de procédés, des gongs à eau de John Cage au frottement de bâtons de bois contre les pupitres en passant par de vulgaires fanfares jouées par les cuivres équipés de sourdines. Les effets bruitistes voisinent avec la panoplie du grand violon romantique, que la compositrice australienne se plaît à affubler d’un nez rouge. Diana Tishchenko ne ménage pas ses efforts dans une partie pétrie d’embûches, où la scordatura le dispute en difficulté aux coups d’archet sautillants. Une théâtralité encore plus perceptible au cours de la cadence, aussi virtuose qu’on peut l’espérer, au‑dessus d’une note tenue à la contrebasse et à la harpe. En dépit des mérites de la soliste remplaçant au pied levé une Patricia Kopatchinskaja souffrante, manque à son jeu ce petit brin de folie – dont la violoniste moldave à le secret – à même de transporter l’auditeur d’enthousiasme.


L’enthousiasme ne sera pas au rendez‑vous des deux œuvres du compositeur phare du festival : Liber fulguralis (2008) déploie trente minutes durant « les ramifications d’un unique coup de foudre ». Un orage à sec – là où Kassandra (1977) de François‑Bernard Mâche y adjoignait l’averse –, à l’image des paysages désertiques qui défilent dans les vidéos d’Hervé Bailly‑Basin : le dessin de la foudre se voit capturé avant de subir, au diapason de la partition imprégnée de sons concrets, diverses métamorphoses. C’est habile sans être captivant... et un rien fatigant pour les yeux. Plus dommageable : cela assigne à la musique un rôle par trop illustratif. On se résigne à fermer les paupières pour goûter la coda, très poétique, où la matière sombre, zébrée de traits vifs aux vents, s’efface devant l’ultime coup de tonnerre.


Dans Near Death Experience (2017), Murail s’inspire, à l’instars de Reger et Rachmaninov avant lui, du fameux tableau L’Île des morts. Inventive dans Liber fulguralis, la vidéo apparaît ici franchement redondante, extirpant quelques détails du tableau réduits à l’état d’anecdote, tel ce colisée romain – plus proche de De Chirico que de la forteresse de Böcklin – autour duquel l’œil d’une caméra tourne et plonge. On a beau savourer les scintillantes sonorités des percussions‑claviers et l’art des transitoires, le piano nous a semblé continûment trop fort, donnant même le sentiment de singer les accompagnements dont on flanquait le cinéma muet au siècle dernier.


Autrement plus subtil et abouti s’avère l’ekphrasis (c’est aussi le titre d’une œuvre de Berio) musicale La Horde d’après Max Ernst, donnée en création mondiale. Hugues Dufourt (né en 1943) y ajoute un volet à sa série picturale entamée en 1977 avec La Tempête d’après Giorgione. Pour autant, il semble ici aller contre sa pente naturelle, qui est celle du temps long, du grand orchestre et d’une certaine pureté sonore : l’œuvre dure à peine vingt minutes, l’effectif reste raisonnable (harpe, piano et deux percussions tiennent un rôle important) et intègre à son univers le geste instrumental, sinon le bruit. L’art tout en finesse, procédant par touches délicates, n’en demeure pas moins celui du compositeur de Surgir (1984). Là où d’autres reprennent les sons à la mode tels des objets manufacturés, Dufourt fait de la partition le prolongement direct de son monde intérieur, décliné en fulgurances et en décantations. Moustache frisée et gestique engageante, Pierre Bleuse dirige, en fin gourmet des sons, le Lemanic Modern Ensemble d’où se détachent les lignes descendantes du tuba, les frottements bruitistes de la harpe et de la contrebasse, des harmoniques magistralement intégrées. A l’issu d’une cadence très déclamatoire au piano et des appels dignes d’un oiseau exotique à la flûte, la musique s’évapore dans une poussière de résonances. Certainement le clou de ce concert d’ouverture.


Le site de Tristan Murail



Jérémie Bigorie

 

 

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