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Apothéoses russes

Paris
Philharmonie
01/12/2022 -  et 13 janvier 2022
Piotr Ilitch Tchaïkovski : La Fille de neige, opus 12 (extraits) – Casse-Noisette, opus 71 (extraits)
Alexandre Scriabine : Concerto pour piano en fa dièse mineur, opus 20

Agunda Kulaeva (mezzo-soprano), Bertrand Chamayou (piano)
Orchestre de Paris, Stanislav Kochanovsky (direction)


B. Chamayou, S. Kochanovsky (© PASCO&CO)


« Stanislav Kochanovsky : il devient vraiment urgent d’essayer de retenir ce nom-là. », concluais-je en 2019, après un concert à Strasbourg où ce jeune chef russe m’avait fait forte impression. Bientôt trois ans plus tard, le nom reste tout aussi difficile à mémoriser, mais assurément l’injonction demeure fondée.


Dans un autre cadre, une autre acoustique, et face à un orchestre d’une personnalité différente, les même qualités ressortent. Un chef élégant, agréable à regarder pendant qu’il travaille (par les temps qui courent, ne citons personne, c’est une qualité qui ne va plus de soi), et dont le tempérament s’affirme sitôt le concert commencé. Avec toutefois un peu de latence, du fait d’une concentration de l’Orchestre de Paris qui ne nous paraît pas d’emblée maximale, dans une partition qu’il ne connaît pas bien. Et il faut aussi un peu de temps à l’auteur de ces lignes, non parisien, pour se réaccoutumer à l’acoustique de la Philharmonie, dont la réverbération brouille les repères. Les premiers extraits de la musique de scène de Tchaïkovski pour Snegourotchka paraissent incertains, manquant de ligne directrice, flottements qui affectent moins la petite harmonie et les cuivres qu’une masse de violons 1 et 2 aux contours peu nets. Et puis tout à coup, dans les premiers passages d’une dynamique plus large, on retrouve le chef russe à forte personnalité attendu : une patente emprise sur les gradations, un vrai sens du spectaculaire, sans cependant trop en faire, voire une agréable souplesse, qui laisse l’orchestre s’exprimer en faisant valoir ses qualités intrinsèques. Et puis, encore un autre talent: la compétence d’un chef d’opéra, rompu à l’exercice de la fosse. La mezzo Agunda Kulaeva peut chanter ses quatre interventions en totale sécurité, le chef la suivant et l’assistant sans la lâcher d’une semelle, et pourtant sans aucune ostentation. Et comme de toute façon la voix est sublime, longue, homogène du haut en bas, on passe de très bons moments. De quoi nous faire un peu moins regretter l’absence de la cantate Alexandre Nevsky de Prokofiev initialement annoncée. Derrière l’orchestre, l’ensemble des gradins a été laissé complètement vide, du fait de l’absence du Chœur de l’Orchestre de Paris, privé de concert du fait d’un contexte épidémique devenu trop défavorable.


Sont-ce ces gradins déserts en masse qui augmentent encore la confusion sonore ? En tout cas, difficile de s’orienter dans le Concerto pour piano de Scriabine. La clarté de cheminement n’est de toute façon pas la vertu cardinale de ce concerto, au demeurant fascinant. Mais alors là, dans ce genre d’acoustique de salle de bains, on nage carrément. Bertrand Chamayou interprète sa partie élégamment, mais ne prend pas les commandes, en restant davantage dans une conception de symphonie concertante où tantôt le piano surnage et tantôt s’engloutit dans la pâte orchestrale. Le chant est beau, d’un lyrisme chopinien de bon aloi, mais l’ouvrage n’est jamais saisi à bras-le-corps. Deux bis, une jolie Berceuse pour une poupée de Liapounov et un A la manière de... Borodine de Ravel de grande classe. On notera au passage que la première de ces pièces figurait déjà au programme du disque « Good Night » de Bertrand Chamayou, l’un des plus gros succès commerciaux récents de Warner. Moins du fait de sa valeur artistique, indéniable, que par le créneau très lucratif qu’il a su occuper : celui des berceuses et des musiques apaisantes en streaming, appelées à la demande par le consommateur lambda sur ses enceintes connectées !


Dernière partie roborative et plaisante, ce qui fait un bien fou par les temps qui courent. 25 minutes d’extraits de Casse-Noisette de Tchaïkovski, mais judicieusement choisis, en ne gardant que deux « tubes » : la « Marche miniature » et la « Valse des fleurs ». Le reste est beaucoup plus rarement joué, hors exécutions intégrales du ballet : « La Bataille » et « Une forêt de sapins en hiver ». Deux beaux déferlements sonores (qui ne saturent jamais : là c’est le gros avantage de l’acoustique de la Philharmonie), gérés par Kochanovsky à la perfection, en s’appuyant sur une rangée de cuivres qui n’a aucune incisivité typiquement russe à faire valoir, mais quand même une belle puissance en réserve. Avec ces quatre volets, on collige une partition symphonique autonome qui se tient très bien. Et puis, en regard de la bataille sur la glace d’Alexandre Nevsky, l’effet de symétrie du combat sans merci entre les souris et les soldats de pain d’épices aurait pu pertinemment fonctionner. Dommage !


Deux bis, toujours extraits de Casse-Noisette, dont le premier explique enfin la présence discrète dans l'orchestre du pianiste et chef de chant Nicolaï Maslenko, resté jusque là strictement inutile devant son célesta : la « Danse de la Fée Dragée » et l’« Apothéose ». Très vif succès et rappels nombreux. Mérités !



Laurent Barthel

 

 

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