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« Je veux m’en fourrer jusque là ! »

Baden-Baden
Festspielhaus
12/17/2021 -  et 18* décembre 2021

17 décembre
Sergei Prokofiev : Roméo et Juliette, opus 64

18 décembre
Igor Stravinsky : Petrouchka (version originale, 1911) – L’Oiseau de feu (version originale, 1910) – Le Sacre du printemps
Orchestre du Théâtre Mariinsky, Valery Gergiev (direction)


(© Michael Gregonowits)


Beaucoup d’incertitudes ont plané sur la traditionnelle résidence de Noël du Ballet du Théâtre Mariinsky à Baden-Baden. D’abord une jauge de public de plus en plus limitée : 750 personnes, dans une salle qui peut en contenir pas loin du triple. Et puis aussi de fortes restrictions des déplacements internationaux, qui faisaient douter de la possibilité d’importer tout à coup de Saint-Pétersbourg une troupe entière, avec danseurs, musiciens, techniciens, intendance, décors, costumes...


L’administration du Festspielhaus a attendu les toutes dernières heures, donc seulement quand tous les artistes, Valery Gergiev inclus, ont été embarqués dans leurs avions respectifs, pour commencer à y croire. Mais officiellement aucune anicroche à déplorer, alors même que ce déplacement concernait beaucoup de monde, voire deux orchestres différents, puisqu’à la phalange A du Mariinsky, pour les deux concerts dirigés par Valery Gergiev, succédait à partir du 21 décembre la phalange B, pour six représentations de ballet (Casse-Noisette et Le Lac des cygnes). Un état de grâce pour le Festspielhaus, mais malheureusement de courte durée, le gala lyrique du 31 décembre, qui faisait intervenir cette fois la Deutsche Radiophilharmonie Saarbrücken-Kaiserslautern, se retrouvant subitement privé d’orchestre. Les solistes Annette Dasch, Klaus Florian Vogt et Daniel Schmutzhard n’ont pu sauver cette ultime soirée de l’année que grâce à la pianiste Olga Wien, accompagnatrice accourue au pied levé pour les laisser moins désemparés, devant une salle à la jauge encore davantage réduite entre temps : 500 personnes seulement. Une période bien difficile !


Mais revenons à ce débarquement inespéré du Mariinsky, résidence qui commence par deux concerts pantagruéliques : l’intégrale de Roméo et Juliette de Prokofiev le premier soir, et le lendemain un programme Stravinsky aux allures de marathon. Un festin d’orchestre dont il est impossible de perdre une miette, tant l’étalage de talents de la phalange A du Mariinsky ressemble à une vitrine gastronomique de Noël. Incontournables : les cuivres, qui se détachent avec une luminosité irradiante, voire le tranchant de facettes de diamant. La trompette de Timur Martynov, le cor solo d’Alexander Afanasiev, voire la rangée de trombones, vous en envoient plein les tympans avec une sûreté d’intonation infaillible, le couac semblant tout bonnement impossible. Et puis il y a aussi, dans Prokofiev, un sublime saxophone ténor, que l’on a rarement l’occasion d’entendre avec autant de netteté, ou encore, dans Petrouchka, un contrebasson aux sonorités ubuesques. Cette impression d’étalage de curiosités est encore renforcée par une disposition très en largeur, avec le piano tout à gauche et l’ensemble des percussions tout à droite, ce qui fait ressortir avec un relief inusité certains détails d’orchestration. Et pourtant la cohésion de l’ensemble n’en souffre jamais, les cordes assurant le liant sans aucun grumeau. Remarquable aussi : une stabilité rythmique à toute épreuve, alors même que la battue de Valery Gergiev, armé pour ces deux soirées de son ultra-courte baguette coutumière, format cure-dents, ne paraît pas, du moins vue de dos, totalement sécurisante. Ultime curiosité : un Konzertmeister à l’allure tellement familière qu’on se demande au début si on a affaire au bon orchestre, puisqu’il s’agit de Lorenz Nasturica-Herschcovici, premier violon des Münchner Philharmoniker, à la silhouette immédiatement reconnaissable, rondeurs confortables et volumineuse chevelure bouclée blanche. Un artiste en fait très mobile, qui passe effectivement une partie non négligeable de son temps à Saint Pétersbourg. Ultime signe distinctif : sauf erreur, c’est le seul Konzertmeister au monde qui joue en pantoufles !


Aucune fléchissement au cours de Roméo et Juliette, alternance de pages ultra-connues (celles des suites d’orchestre tirées de l’ouvrage) et de moments d’ordinaire chorégraphique a priori moins dissociables de la danse, et pourtant jamais fastidieux. Certes Prokofiev répète beaucoup ses thèmes conducteurs, avec çà et là une petite tendance au remplissage utilitaire. Mais à un tel niveau d’exécution, l’intégrale, même sans substrat visuel, se tient admirablement. Gergiev est dans un de ses grands soirs, et même si le geste paraît parfois mystérieux, le résultat sonore fascine en permanence. On regrette simplement qu’en seconde partie la disposition de l’orchestre ait en partie changé, répartition des cuivres différente (suite à un desiderata subit du chef ?). Après un grand déménagement pendant l’entracte, les sonorités paraissent un peu moins équilibrées, mais c’est un détail.



(© Michael Gregonowits)


Pour tous une énergie intacte le lendemain soir, et il en faut beaucoup pour enchaîner les trois plus célèbres ballets de Stravinsky à la suite ! Pas dans l’ordre chronologique toutefois, en commençant par Petrouchka, ce qui implique après l’entracte la performance d’enchaîner la version originale de 1910 de L’Oiseau de feu et Le Sacre du printemps. Même pour l’auditeur, la tension à soutenir est intense, au point que vers la fin de L’Oiseau de feu, on se demande s’il va nous rester une place suffisante pour ingurgiter le dessert. Mais après l’apothéose générale, lancée par le solo de cor d’Alexander Afanasiev avec autant d’autorité que s’il s’agissait de battre le rappel dans la steppe tartare, et même pas compromise par un coup de cymbale frappé un poil tôt par un jeune percussionniste trop nerveux, aucun doute n’est possible, on en redemande. Le Sacre du printemps arrive à point nommé, ultime élément d’un triptyque parfaitement cohérent, et peut-être plus encore avec L’Oiseau de feu positionné comme cela, en plein centre. Trois partitions archi-connues mais que l’on ressent pour la première fois avec une telle sensation de surprise. On se retrouve un peu dans l’état d’ébahissement du public parisien d’il y a plus d’un siècle, devant l’esthétique totalement nouvelle et exotique des ballets russes de Diaghilev : un étalage de bariolages, d’innovations chorégraphiques, voire d’alliages orchestraux ressentis quasiment comme barbares.


Oser un bis, après un tel déferlement ? Eh bien oui, mais tout à l’opposé : un extrait de La Belle au bois dormant de Tchaïkovski d’une subtilité ineffable. Là ce sont les cordes qui chantent, accompagnée par une pulsation inexorable des souffleurs. Gergiev prend cet Andantino lentement, ce qui serait tuant pour beaucoup d’orchestres, alors qu’ici tout fonctionne au quart de nuance près, voire s’approfondit encore davantage vers la fin, en un festival de pianissimi arachnéens. Quasiment un tour de magie. Standing ovation de rigueur !



Laurent Barthel

 

 

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