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Monstrueuse performance !

Paris
Théâtre des Champs-Elysées et Philharmonie
12/09/2021 -  et 18* décembre 2021

9 décembre, Théâtre des Champs-Elysées
Johann Sebastian Bach : Das wohltemperierte Klavier (Teil I), BWV 846 à 869

18 décembre, Philharmonie
Johann Sebastian Bach : Das wohltemperierte Klavier (Teil II), BWV 870 à 893
András Schiff (piano)


A. Schiff (© Nadia F. Romanini)


A l’occasion de la performance réalisée par András Schiff de jouer les deux livres du Clavier bien tempéré de Bach en deux concerts sans interruption, à neuf jours d’intervalle, il est intéressant de comparer les différences des publics de deux salles situées aux deux extrémités de la capitale.


« Monstrueux ! » nous glisse à l’oreille André Furno alors que le pianiste vient de tenir deux heures et vingt minutes durant (sans la moindre interruption et en faisant toutes les reprises) sous son emprise le public de la Philharmonie de Paris et s’apprête à se rassoir à son Steinway pour rejouer un des plus long des vingt-quatre Préludes et Fugues du Second Livre. C’est bien sûr à la performance que fait allusion le producteur indépendant et créateur il y a quarante-cinq ans de la série « Piano 4 étoiles », qui réussit aujourd’hui l’exploit à quelques jours de Noël, alors que les salles de concert ne font pas toujours recette, de quasiment remplir avec le plus austère et abstrait des programmes, deux salles aussi diamétralement opposées géographiquement et par leur public que sont le Théâtre des Champs-Elysées et la Philharmonie de Paris.


Passionnant à cet égard de comparer le comportement des publics de ces deux salles dont probablement une petite partie est commune aux deux concerts. Avenue Montaigne, avec une acoustique d’une intimité totale, certes dans le Premier Livre plus court d’une petite heure que le Second, le public est resté extrêmement concentré sans la moindre toux, on aurait pu y entendre une mouche voler ! A la Porte de Pantin, dans des conditions acoustiques un peu moins favorables (pour des raisons évidentes, on entendait trop le souffle très aigu de la machinerie d’aération, à la place que j’occupais du moins), en tous cas moins intimes, on a pu constater après une grande heure que les auditeurs commençaient à s’agiter, regarder leur montre, essayer de se repérer dans le programme (mission impossible quand on ne sait pas quelle est la tonalité du Prélude et Fugue en cours !). Quelques enfants s’endormaient, quelques départs anticipés s’organisaient çà et là. Bref, la concentration s’émoussait d’avantage mais curieusement quand après quelques sorties de scène, presque deux heures et demie après le début d’un concert sans entracte, András Schiff se rassied et entame le vingt et unième Prélude et Fugue, tout le public semble en redemander...


Il y a environ trente ans, alors peu connu à Paris et tout juste passé de la notoriété nationale, avec sa discographie aujourd’hui très recherchée chez Hungaroton dans son pays natal, et tout juste « signé » par la très internationale Decca pour une série d’enregistrements qui font date, András Schiff donnait en deux soirées à la Salle Pleyel ce Clavier bien tempéré, bible harmonique des pianistes et clavecinistes, alpha et oméga de la musique tonale pour clavier. Il ménageait sa concentration mais surtout celle du public parisien, en aménageant deux pauses pour chaque concert pendant lesquelles le public était prié de rester assis. Aujourd’hui, c’est sans la moindre interruption qu’il délivre ces deux monuments, rude épreuve de concentration des deux côtés de la scène.


En trente ans, « le bon vin a vieilli » comme le confie Schiff au micro de France Musique (interview par Jean-Baptiste Urbain le 17 décembre 2021), ce que démontrait il y a déjà dix ans son dernier enregistrement de l’œuvre pour ECM. Les tempi des fugues sont plus larges, les préludes joués avec une palette de couleurs admirable chez ce grand amateur d’arts plastiques. Reste identique la clarté du discours contrapunctique : dans les fugues les plus complexes, on a l’impression de voir les voix se dessiner sur une portée, la pleine, franche et belle sonorité obtenue avec un minimum d’usage de la pédale forte, la sobriété sans rigueur excessive du jeu (aucun ornement superflu ne vient se surajouter à la ligne pure du chant). Il faut y ajouter la très remarquable concentration du pianiste, immobile dans la même position d’un bout à l’autre des concerts. Impressionnant ! Dans le Premier Livre, on a cru déceler une certaine sécheresse du son dans les premiers préludes, les plus scolaires et plus connus, mais dès le Cinquième, on était embarqué dans un discours d’une richesse sonore incomparable. Petite différence de contenu entre les deux livres, car si dans le Premier, les fugues les plus complexes sont groupées à la fin du recueil, dans le Second, elles le parsèment dès les premiers numéros. Mais dans les deux cas, le pianiste ne relâche jamais le pouvoir dramatique de cette musique, aucune baisse de tension ne vient interrompre le discours.


En exergue du programme de salle, Schiff déclare : « Ma religion c’est Bach ! », ce qui semble vérifié tout au long de ce parcours marathonien d’une haute teneur spirituelle. Il dit aussi : « Pour moi, un programme est une composition. Le concert n’est plus un divertissement mais une éducation. » C’est probablement de plus en plus le cas des concerts qu’il donne, on a pu le constater plus d’une fois au Festival de Verbier (voir ici). C’était ici une évidence avec une œuvre que Bach a composée dans un but pédagogique et n’a en rien destinée à être jouée au concert.



Olivier Brunel

 

 

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