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Eclairs sur l’ici-bas, éclairs sur l’au-delà

Paris
Opéra Comique
11/02/2021 -  et 4*, 6, 8 novembre 2021
Philippe Hersant : Les Eclairs (création)
Jean-Christophe Lanièce (Gregor), Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Ethel), François Rougier (Norman), Elsa Benoit (Betty), André Heyboer (Edison), Jérôme Boutillier (Parker), Alban Dufourt (Le Capitaine), Mathieu Dubroca (Le second, Le médecin légiste), Anthony Lo Papa, Paul Kirby (Domestiques), Sorin Adrian Dumitrascu, Vlad Crosman, Florent Thioux (Adjoints d’Edison)
Ensemble Aedes, Mathieu Romano (chef de chœur), Orchestre philharmonique de Radio France, Ariane Matiakh (direction musicale)
Clément Hervieu-Léger (mise en scène), Aurélie Maestre (décors), Caroline de Vivaise (costumes), Bertrand Couderc (lumières), Jean-Luc Ristord (son)


(© Stefan Brion)


Avant de partir pour la Philharmonie, Olivier Mantei aura donné à Favart une belle création, le troisième opéra de Philippe Hersant, très différent du Château des Carpathes et du Moine noir. Les Eclairs vient tout droit de la troisième biographie imaginaire de Jean Echenoz, après celles de Ravel et de l’athlète Emil Zatopek. L’écrivain a transformé son récit en un livret à la prose rythmée, parfois en vers blancs, sur l’histoire de Nikola Tesla, devenu ici Gregor, cet ingénieur électricien d’origine serbe dont les découvertes, en particulier sur le courant alternatif, ont un moment fait de l’ombre à la gloire de Thomas Edison. Grassement payé par le milliardaire Horace Parker tant qu’il a servi ses intérêts, puis brutalement congédié, soutenu contre vents et marées par un couple de mécènes dont la femme s’éprend de lui, l’inventeur, inadapté au monde, à la fois ambitieux et rêveur, dandy et misanthrope, finit miséreux. Excellent livret, dont les vingt-cinq scènes s’enchaînent rapidement, comme au cinéma, avec décors changeant à vue.


Philippe Hersant a composé son opéra pendant le confinement, en compagnie des pigeons de Montmartre. «Ma musique reste essentiellement tonale», dit-il, ajoutant néanmoins que tout se fonde sur une série de douze sons. Une tonalité évidemment aménagée, élargie, libérée. Ne lui en faisons donc pas le reproche, alors que Schoenberg lui-même disait qu’il y avait encore beaucoup de belles choses à écrire en ut majeur. Goûtons plutôt son art de l’instrumentation, son jeu sur les couleurs comme élément du drame, son sens du rythme théâtral – on ne voit pas passer les deux heures. D’un orchestre réduit, adapté à la fosse de Favart, auquel s’intègre un synthétiseur, surgissent des sonorités raffinées et suggestives. Même s’il évoque Doctor Atomic de John Adams et L’Affaire Makropoulos de Janácek, c’est plutôt au Rake’s Progress stravinskien, troisième référence, que l’on pense, pour le traitement des timbres, pour les rythmes syncopés du chœur de la fin du premier acte – nous assistons, ici aussi, à un «progress», à une ascension et à une chute. Et pour le retour revendiqué à l’opéra à numéros, à ses airs, ses duos, ses ensembles. Il en résulte une sorte de distanciation nostalgique, avec clins d’œil à la Symphonie du nouveau monde, au jazz, au musical, au folklore serbe. Ne s’agit-il pas, d’ailleurs, d’un «drame joyeux», malgré une scène d’électrocution et la mort plutôt tragique du protagoniste? Ne nous interrogeons pas sur la destinée de l’opéra: pour l’heure, reconnaissons que compositeur a atteint le but qu’il s’était lui-même fixé.


La production de Clément Hervieu-Léger adhère à l’œuvre, dans le décor new-yorkais à la Magritte, presque de film muet, d’Aurélie Maestre, animé par les subtiles lumières de Bertrand Couderc. Pour être traditionnelle, la direction d’acteurs vise juste et brosse des personnages un peu archétypaux. Belle image à la fin: Gregor s’élève vers les cintres avec ses chers pigeons, comme dans une assomption – après les éclairs sur l’ici-bas, les éclairs sur l’au-delà. On suivra de près Ariane Matiakh, qui dirige magnifiquement les musiciens du Philhar’. La musique flatte les voix, à travers une déclamation mélodique très française, que chacun assume parfaitement. Jean-Christophe Lanièce se coule dans la tessiture pelléassienne de Gregor, rival malheureux de l’Edison à la noirceur méphistophélique d’André Heyboer. Rôle de soprano léger, Betty, première journaliste féminine du New York Herald, donne à Elsa Benoit l’occasion de faire valoir un timbre cristallin et une jolie ligne, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, mezzo opulent aux couleurs riches, a beaucoup de relief en Ethel. L’entrepreneur cynique de Jérôme Boutillier s’impose aussitôt, mais le mécène généreux et bien campé de François Rougier doit affronter une tessiture un peu tendue pour lui. Le chœur Aedes est superbe.



Didier van Moere

 

 

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