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Sur les ailes de la mélodie

Strasbourg
Opéra national du Rhin
10/11/2021 -  
Claude Debussy : Prélude à l’après-midi d’un faune – Nuits d’étoiles – Romance d’Ariel – Apparition
Gabriel Fauré : Notre amour, opus 23 n° 2 – Après un rêve, opus 7 n° 1 – Au bord de l’eau, opus 8 n° 1
Francis Poulenc : La Courte Paille, FP 178
Louis Beydts : Chansons pour les oiseaux
Maurice Ravel : Cinq mélodies populaires grecques
Claude Debussy : Ariettes oubliées

Sabine Devieilhe (soprano), Alexandre Tharaud (piano)


A. Tharaud, S. Devieilhe (© Jean-Baptiste Millot/Erato)


Sabine Devieilhe et Alexandre Tharaud vont s’adresser plusieurs fois directement au public au cours de cette soirée. La taille de la salle du Théâtre de Strasbourg, même très bien remplie, l’autorise, et on ne sait pas s’il en sera de même à d’autres étapes plus intimidantes de la tournée en cours, dont la Scala de Milan, mais en tout cas c’est une façon élégante et sans prétention de rompre la glace. Et pourtant, a fortiori lors d’un récital de chant, l’exercice n’est pas facile : changement de voix, changement de projection, et même déstabilisations possibles. On admire beaucoup Sabine Devieilhe, après un petit lapsus gentiment corrigé par son pianiste, ce qui déclenche quelques rires, de récupérer aussi vite une parfaite concentration pour attaquer les Cinq Mélodies populaires grecques de Ravel (oui, il y en a bien cinq et non quatre). En quelques secondes tout est rentré dans l’ordre.


Le récital est, on le sait, une épreuve difficile pour un chanteur, même aguerri, et la maîtrise du sujet dont fait preuve Sabine Devieilhe est à proprement parler incroyable. Employer le terme de perfection paraît toujours risqué, mais ici on ne voit vraiment pas comment le contourner, à tel point il s’impose. La voix chantée abolit toute notion de distance, traverse la salle avec sa substance, ses mots, ses infimes variations de couleur, et vient vous atteindre dans votre fauteuil comme si le discours n’était adressé qu’à vous seul. L’autre miracle est que le piano atteint le même degré à la fois d’intimité et d’efficacité, toujours en symbiose. Le tableau se complète par petites touches, entre vibration des associations poétiques, petites intonations sensibles de la voix, infimes touches de couleur sortant du piano et tombant ici ou là avec exactement le poids qu’il faut... Tout cela est confondant de maîtrise, et confirme assurément l’amour que les deux interprètes proclament haut et fort pour ce répertoire de la mélodie française.


« Chanson d’amour », disque paru chez Erato l’année dernière, m’avait enchanté, au point de lui décerner un Diamant, dans les pages d’Opéra Magazine. Mais on découvre ici une réalité plus fascinante encore, dans la spontanéité du concert, quelque chose de plus libéré et ductile dans le son, et un flux musical d’un naturel qui n’est envisageable que sur le vif. Une harmonie privilégiée entre une chanteuse très musicienne et un pianiste habilement chanteur, complémentarité qui nous emporte loin, tout au long d’un récital copieux où le temps paraît suspendu.


Quelques modifications déjà, par rapport au programme du disque, avec l’apparition d’autres Poulenc. Ici c’est La Courte Paille, où Sabine Devieilhe nous révèle encore d’autres facettes de son talent, voire une troublante aptitude au mimétisme : on a l’impression d’entendre Denise Duval, grâce à un rien d’harmoniques supplémentaires dans le timbre et un ton un rien parigot. Tout à coup on entrevoit quelque chose d’une carmélite écorchée, dans ces enfantines faussement simples. Du côté d’Alexandre Tharaud, le jeu de masques n’est pas moins osé, avec une transcription du Prélude à l’après-midi d’un faune qui, à défaut de pouvoir restituer simultanément toutes les strates de l'écriture d’orchestre, crée une succession de beaux climats, prélude idéal aux deux mélodies de Debussy suivantes, pour lesquelles la chanteuse regagne sa place sur la pointe des pieds. Et puis, autre découverte toute nouvelle : les Chansons pour les oiseaux de Louis Beydts, compositeur d’opérettes dont le nom nous dit forcément quelque chose, mais qui s’aventure ici dans un genre très différent de celui du Club des canards mandarins ou de La Société Anonyme Des Messieurs Prudents. Ce domaine de la mélodie française était pourtant l’une de ses vraies prédilections, que ce soit avec piano ou avec orchestre, et en collaboration avec nombre des grands chanteurs français de l’époque.


Dans le public, Natalie Dessay n’en perd pas une miette, couve l’interprète du regard, paraît souvent fascinée. Nous aussi, assurément, le clou arrivant pour le bis, d’une sensibilité ineffable, sur le fil d’une ornementation associant piano et voix à égalité, pour un Rameau hors du temps : « Viens, Hymen », des Indes galantes.



Laurent Barthel

 

 

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