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Elle et Lui

Baden-Baden
Theater Baden-Baden
10/02/2021 -  
L’Heure exquise - Variations sur un thème de Samuel Beckett « Oh, les beaux jours »
Maurice Béjart (chorégraphie), Anton Webern, Gustav Mahler, Wolfgang Amadeus Mozart et Franz Lehár (musique)
Maina Gielgud (mise en scène, lumières), Roger Bernard (décor), Marcello Marchi (lumières), Luisa Spinatelli (costumes)
Alessandra Ferri (Elle), Carsten Jung (Lui)


(© Kiran West)


Maurice Béjart a conçu L’Heure exquise, librement inspiré de la pièce Oh, les beaux jours de Samuel Beckett, pour la brillante étoile italienne Carla Fracci (une Duse, une Taglioni, une Sarah Bernardt de la danse, pour ne citer que quelques-uns des qualificatifs dithyrambiques recueillis au cours d’une carrière de légende). En 1998, lors de la création à Turin de ce ballet aux allures d’hommage, Carla Fracci avait 58 ans, soit exactement l’âge aujourd’hui d’Alessandra Ferri, autre gloire au prestigieux parcours, sollicitée pour reprendre cette pièce intime d’un peu plus d’une heure. Carsten Jung, son partenaire pour l’occasion, a été très longtemps l’un des piliers du Ballet de Hambourg, en résidence en ce moment à Baden-Baden. Quant à Alessandra Ferri, John Neumeier a créé spécifiquement pour elle en 2015 le ballet Duse, qu’elle a beaucoup dansé en Europe. Autant de connexions qui expliquent bien les deux représentations à Baden-Baden de ce spectacle itinérant, présenté déjà à Ravenne et à Turin cet été, et certainement encore appelé à voyager davantage.


En l’occurrence le petit théâtre situé au centre de la ville, inauguré en 1862 avec la création de Béatrice et Bénédict de Berlioz, constitue un cadre idéal : une bonbonnière Second Empire dont le charme intimiste fonctionne en plein accord avec cet univers d’évocations et souvenirs fragmentaires, enchaînements de petits riens sans suite logique. Sur le plateau vide, la dune de sable dans laquelle la Willie de Beckett apparaît enfouie jusqu’à mi-corps, est remplacée par un amoncellement de chaussons de danse. Le désœuvrement et l’ennui restent les principaux thèmes de la pièce, mais transposés dans un univers plus chorégraphique. Assez vite le monticule s’ouvre largement, ce qui restitue à Alessandra Ferri l’usage de ses jambes, pour une chorégraphie apaisée, toute en lignes souples, mais qui reste techniquement exigeante. Son partenaire a un rôle un peu plus effacé mais stratégiquement important, pour de très nombreux portés où la stabilité musclée de Carsten Jung fait toujours merveille. Et puis ce deux-là sont non seulement d’immenses danseurs mais aussi d’excellents acteurs, qui nous font rentrer de plain pied dans la trame absurde de la pièce, au demeurant bien respectée, avec ses télescopages bizarres et ses incontournables accessoires : sac à main, parapluie, revolver... L’accent est mis tantôt sur le charme gracile, presque enfantin de l’une, puis sur la bonhommie naïve voire un peu rustique de l’autre, partenaires de vie qui manifestement ont accompli un long parcours ensemble et s’aiment, tout en s’évitant, se cherchant, se retrouvant. Des pas de deux originaux, tantôt poétiques, comiques, tristes : la danse de Béjart à son plus sensible.


On redécouvre aussi par la même occasion la pertinence musicale du chorégraphe français, aussi aiguisée que celle de John Neumeier, mais volontiers plus fluide et rapide, jouant davantage sur les climax, les fragments. Entre l’Adagio de la Quatrième Symphonie de Mahler, les Pièces pour orchestre de Webern, la Fantaisie en ut mineur de Mozart (par Glenn Gould, que l’on entend perceptiblement chantonner), et « L’Heure exquise » de Lehár, on passe continuellement d’un affect étreignant à l’autre, ce qui renforce encore l’intense mélancolie de l’ensemble.


Ultime note de nostalgie : Carla Fracci et Micha Van Hoecke, les deux créateurs de ce ballet, sont tous deux décédés au cours de l’été 2021, à peu de temps d’intervalle.



Laurent Barthel

 

 

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