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Venise tombe le masque

Toulouse
Théâtre du Capitole
09/24/2021 -  et 26, 28 septembre, 1er, 3 octobre 2021
Amilcare Ponchielli: La Gioconda, opus 9
Béatrice Uria-Monzon (La Gioconda), Judit Kutasi (Laura Adorno), Ramón Vargas (Enzo Grimaldo), Pierre-Yves Pruvot (Barnaba), Agostina Smimmero (La Cieca), Roberto Scandiuzzi (Alvise Badoèro), Roberto Covatta (Isèpo), Sulkhan Jaiani (Zuàne, Un pilote), Hugo Santos (Barnabotto, Un chanteur)
Chœur et Maîtrise du Théâtre du Capitole, Alfonso Caiani (chef de chœur), Orchestre national du Capitole, Roberto Rizzi-Brignoli (direction)
Olivier Py (mise en scène), Pierre-André Weitz (décors, costumes), Bertrand Killy (lumières)


B. Uria-Monzon, R. Vargas (© Mirco Magliocca)


Précipitez-vous! La création toulousaine de La Gioconda est l’un des grands événements lyriques de cette rentrée, avant tout parce que le chef-d’œuvre de Ponchielli (1834-1886) reste rarement monté dans l’Hexagone – la création parisienne n’ayant eu lieu qu’en 2013. L’ouvrage exige en effet de réunir un plateau vocal pléthorique, dont pas moins de six chanteurs de premier plan: c’est là une caractéristique du «grand opéra», mêlant manœuvres politiques et drames individuels. En un style à mi-chemin entre romantisme verdien et vérisme naissant, l’ancien professeur de Puccini et Mascagni n’a pas son pareil pour enfiévrer l’action de grandes scènes chorales de caractère, nombreuses et spectaculaires, avant de plonger finement dans les affres plus intimistes du mélodrame. On pourra bien entendu moquer quelques dialogues convenus, et ce bien que le livret, touffus et simpliste dans la caractérisation des personnages, soit de la plume d’Arrigo Boito, le génial librettiste du dernier Verdi. La musique, souvent prévisible dans ses tournures mélodiques, annonce Puccini dans la variété de l’orchestration colorée, et s’épanouit dans la célébrissime «Danse des heures», popularisée par le film Fantasia (1940) de Walt Disney.


Ne boudons donc pas notre plaisir de découvrir une musique certes «facile», mais diablement efficace, notamment dans l’écriture vocale: les plus grandes sopranos dramatiques, Callas et Caballé en tête, ne s’y sont pas trompées et ont marqué le rôle-titre de leur empreinte, comme le disque en témoigne brillamment. S’il est difficile de nos jours de trouver une artiste qui leur arrive à la cheville, il faut au moins reconnaître l’audace de Béatrice Uria-Monzon d’affronter ce rôle après sa longue carrière de mezzo, qui lui a permis de chanter le rôle de Laura dans la production de La Gioconda présentée à Marseille en 2014. Las, on ne peut qu’être déçu par une technique désormais soutenue par un vibrato envahissant sur toute la tessiture aiguë. Pour autant, elle sait encore brûler les planches de son tempérament dramatique, qui fait mouche dans les scènes de fureur, tout particulièrement dans les duos avec sa rivale ou face au ténébreux Barnaba. A ses côtés, Ramón Vargas (Enzo Grimaldo) est un peu plus emprunté dans son jeu scénique, par ailleurs privé de mordant dans l’éclat. Mais son timbre magnifique, tout autant que sa technique parfaite au service de phrasés souples et naturels, est un régal tout du long. On aime plus encore l’émission charnue et veloutée de Judit Kutasi, vivement applaudie dans son rôle de Laura, à l’instar de la parfaite Agostina Smimmero (La Cieca), au chant noble et altier.



Remplaçant à la dernière minute Marco Spotti, Roberto Scandiuzzi (Alvise) donne encore une fois une leçon de classe vocale, de celle qu’on écoute comme une évidence. Le timbre a beau avoir perdu de sa superbe, on ne peut que s’incliner devant un tel artiste. On est plus déçu en revanche par le Barnaba de Pierre-Yves Pruvot, qui offre certes une composition d’une belle noirceur, mais sonne trop rauque en de maints endroits, avec une émission étroite. Dans la fosse, tonitruant et volontiers premier degré, Roberto Rizzi-Brignoli, imprime une incontestable tension tout au long de la soirée, en croyant en la partition sans chercher à en extirper quelques subtilités: ce geste bénéficie des couleurs d’un splendide Orchestre national du Capitole, manifestement en forme, tandis que les chœurs, eux aussi très sonores (une volonté du chef?), étourdissent de leur virtuosité, le tout parfaitement en place.


Autour de ce plateau vocal globalement de très bonne tenue, l’événement de la soirée est sans conteste la mise en scène d’Olivier Py, déjà présentée avec succès à Bruxelles en 2019. L’idée force de Py nous plonge dans les recoins sombres de Venise, en un décor unique constitué d’une forêt de pilotis en béton, avec une marre humide en son centre: d’emblée, les frustrations sexuelles des personnages sont mises en avant par la nudité dévoilée (essentiellement masculine) et les poses lascives des danseurs, tandis qu’un clown triste (en réalité Barnaba) erre comme une âme en peine. C’est bien le personnage de Barnaba qui ouvre et clos l’ouvrage, précipitant le drame par son amour déçu et ses manigances secrètes. Py redonne ainsi ses lettres de noblesse à cette figure de l’ombre, faisant de ces apparitions un fil conducteur énigmatique et angoissant. Comme à son habitude, ce monde glauque bénéficie de la scénographie astucieuse de Pierre-André Weitz, notamment la passerelle métallique mouvante qui apporte du volume à plusieurs scènes. On retiendra enfin les inventives scènes de ballet, tour à tour sensuelles et endiablées, particulièrement une nerveuse «Danse des heures», où les jeux d’eau innocents font rapidement place à la violence masculine, viol compris. Lors du galop conclusif de la danse, inspiré des rythmes étourdissants d’Offenbach, Olivier Py se permet un clin d’œil aussi décalé que pertinent, en faisant joyeusement crier ses danseurs. Un spectacle brillant, même si les scènes «sulfureuses» devront le limiter à un public averti.


On retrouvera l’univers du French cancan dans la création mondiale très attendue du ballet Toulouse-Lautrec de Kader Belarbi, à découvrir dès octobre prochain dans la ville rose. Une saison toulousaine qui brille de mille feux et que l’on recommande chaudement, avec plusieurs spectacles très alléchants: Wozzeck (mise en scène de Michel Fau, avec Stéphane Degout, Sophie Koch et Nikolai Schukoff), Platée (avec Mathias Vidal) ou Jenůfa (avec Angela Denoke).


Le site du Théâtre du Capitole



Florent Coudeyrat

 

 

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