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Convalescence

Strasbourg
Palais de la Musique
05/22/2021 -  et 23 mai 2021
Jonny Greenwood : Norwegian Wood Suite
Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour piano n° 23 en la majeur, K. 488
Jean Sibelius : Symphonie n° 2 en ré majeur, opus 43

Cédric Tiberghien (piano)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (direction)


M. Letonja, C. Tiberghien (© Grégory Massat)


Masques noirs de rigueur pour les musiciens de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, mais qui ne dissimulent pas complètement des physionomies réjouies, devant une grande salle du Palais de la musique raisonnablement remplie. Enfin ! Après six mois consécutifs de vide total, à ne plus jouer que devant des micros et des caméras, une certaine euphorie est perceptible, autant du côté des musiciens que de celui d’un public d’abonnés qui réserve un accueil particulièrement chaleureux à « son » orchestre, ainsi qu’à Charlotte Juillard, premier violon, et Marko Letonja.


Dans les premières rangées de fauteuils on aperçoit aussi Aziz Shokhakimov, nouveau directeur musical à partir de la saison prochaine : le passage de relais est en train de s’opérer, mais tellement brouillé par la crise qu’il en passe inaperçu. Aziz Shokhakimov était déjà présent en mars dernier à Strasbourg, pour un concert sans public, au programme des plus classiques (Rossini, Mozart, Bizet), capté et diffusé par medici.tv. Des instants prometteurs, avec en particulier une Symphonie de Bizet menée à un train d’enfer, intéressante démonstration de prise en main volontariste d’un orchestre, alors même que musiciens et chef ne se connaissent pas encore bien. Le replay reste accessible sur la plate forme pour quelques semaines, si toutefois on a envie de se retremper dans ce genre d’ambiance de concert donné pour une salle déserte, avec ces sinistres moments de vide à la fin de chaque œuvre du programme, quand la musique s’éteint sans susciter rien d’autre qu’un silence angoissant.


Mais revenons à la présente « soirée », en fait plutôt une fin d’après-midi, à 18 heures 30, couvre-feu persistant oblige. Inutile d’attiser les regrets en rappelant le programme que l’on avait prévu, il y a bien longtemps, d’y jouer : le Vingt-quatrième Concerto pour piano de Mozart avec Piotr Anderszewski, encadré par la Sinfonietta et la Messe glagolitique de Janácek. Pas grand chose là-dedans de compatible avec les contraintes du moment, cela dit les propositions alternatives, pour ce concert donné sans entracte, ne sont pas frustrantes. Ce qui l’est davantage, c’est cet effectif de moins de soixante musiciens « distanciés » qu’il n’est pas possible de dépasser, avec toujours un son qui paraît comme évidé de l’intérieur, plutôt brillant mais manquant de chaleur et de substance, en particulier dans les graves. Quand pourra-t-on enfin tourner la page de ces orchestres-COVID émaciés ? Ce n’est sans doute pas pour demain. En attendant, Marko Letonja fait quand même sonner la Deuxième Symphonie de Sibelius avec une belle générosité, voire une dynamique plus que respectable : une façon de prendre l’orchestre à bras-le-corps qui fascine toujours, même après toutes ces longues années passées par le chef slovène à Strasbourg. Un engagement, une énergie, parfois au détriment de certaines subtilités, mais qui réveillent instantanément le souvenir de nombreux concerts où l’enthousiasme du meneur pouvait déplacer des montagnes.


Changement de soliste et de concerto pour Mozart, ce qui nous vaut de sympathiques retrouvailles avec Cédric Tiberghien, ancien artiste en résidence à Strasbourg au cours de la saison 2014-2015, et l’échange du plus angoissé et tumultueux Vingt-quatrième contre le lumineux Vingt-troisième Concerto, sans doute plus adapté à cette soirée de convalescence. Si l’Allegro paraît encore un peu brut, sans vraie lumière, le ciel s’ouvre dans l’Andante, écouté dans un silence religieux. Tiberghien phrase en artiste sensible, sans rien de démonstratif, et la magie opère. Dommage simplement qu’à la fin du mouvement, alors que le chant du piano se réduit à quelques notes (Tiberghien résiste à toute tentation d’ajouter le moindre ornement au texte), l’orchestre ne parvienne pas à réduire ses sonorités au même degré de confidence intime. Très beaux instants dans le Finale aussi, où le soliste se montre enjoué mais toujours aussi perceptiblement raffiné.


Superbe bis : un contrepoint joué avec une exceptionnelle intériorité, en faisant lentement et posément sonner chaque entrée. Au point d’en rendre la provenance difficilement décryptable. Bach ? Que non, en fait la Vingt-quatrième des Variations Diabelli de Beethoven.


« Jonny Greenwood, vous connaissez, vous ? ». « Oui, bien sûr, c’est le guitariste de Radiohead » répondent mes enfants du tac au tac. Question naïve, mais après tout, à chacun son domaine de compétence et ses repères. Cela dit, Greenwood, 50 ans aujourd’hui, est devenu au fil du temps un touche à tout qui dépasse le seul univers du rock : guitariste, claviériste, ondiste et compositeur, éprouvant une véritable fascination pour certains aspects expérimentaux de la musique savante de la seconde moitié du siècle dernier. Oui, cette musique que l’on qualifie plus habituellement de contemporaine, alors qu’objectivement, elle ne l’est déjà plus du tout. Exemple emblématique de cette démarche d'appropriation, le CD Krzysztof Penderecki/Jonny Greenwood publié chez Nonesuch en 2012, où les glissandi de cordes de deux compositeurs se répondent : le très historique Thrène à la mémoire des victimes d’Hiroshima de l’aîné se voyant rétorquer un respectueux Popcorn Superhet Receiver de la part de son cadet et admirateur. La suite d’orchestre en trois parties tirée de la musique du film Norwegian Wood est aussi de cette trempe, mais pour un effectif instrumental plus varié. Son écriture paraît se prêter davantage à l’accompagnement d’images qu’à une écoute structurée, mais elle permet au public de se familiariser avec certaines techniques de glissandi et de clusters sans trop souffrir. Après, on reste libre de préférer l’avant-garde fracassante d’hier à sa copie édulcorée d’aujourd’hui.



Laurent Barthel

 

 

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