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Réouverture en beauté

Paris
Bouffes du Nord
05/19/2021 -  et 20, 22, 25, 27, 29 mai 2021
Benjamin Britten : The Rape of Lucretia, opus 37
Tobias Westman/Kiup Lee* (Male Chorus), Andrea Cueva Molnar/Alexandra Flood* (Female Chorus), Aaron Pendleton/Niall Anderson* (Collatinus), Alexander Ivanov/Danylo Matviienko* (Junius), Alexander York/Timothée Varon* (Tarquinius), Marie-Andrée Bouchard-Lesieur/Ramya Roy* (Lucretia), Cornelia Oncioiu (Bianca), Kseniia Proshina (Lucia)
Musiciens de l’Académie de l’Opéra national de Paris, de l’Ensemble Multilatérale et de l’Orchestre-Atelier OstinatO, Léo Warynski (direction musicale)
Jeanne Candel (mise en scène), Lisa Navarro (décors), Pauline Kieffer (costumes), César Godefroy (lumières)


K. Lee, T. Varon, R. Roy (© Studio J’adore ce que vous faites)


Après des mois de fermeture l’Opéra ouvre enfin : Viol de Lucrèce aux Bouffes du Nord, par l’Académie, création du Soulier de satin de Marc-André Dalbavie à Bastille. On n’avait d’ailleurs pas cessé de travailler, de répéter, de préparer – en ont témoigné les captations d’Aïda et de Faust, qui ont montré que se préservaient la cohésion et l’excellence des troupes. L’Académie n’a pas été en reste, se hissant au sommet avec l’œuvre de Britten.


Le cadre du théâtre du boulevard de la Chapelle constitue sans doute le décor idéal pour cet opéra de chambre, tiré d’une pièce d’André Obey d’après un poème de Shakespeare et créé en 1946 avec la jeune Kathleen Ferrier – c’est le deuxième chef-d’œuvre lyrique de Britten, après le Peter Grimes un an avant. Et cette histoire de viol commis par le fils d’un tyran qui asservit un pays a toujours quelque chose à nous dire – mais elle connaît une fin heureuse : Rome sera libérée et, Britten s’inscrivant dans une perspective résolument chrétienne, Lucrèce rédimée. Jeanne Candel signe une production superbe par sa sobriété suggestive et le recours à quelques symboles éloquents. Une grande tapisserie bleue, à l’image de celle que tisse l’épouse aimante et fidèle, sépare l’orchestre des chanteurs, jusqu’à ce qu’elle s’affaisse quand tout va basculer. Les soldats boivent aussi du vin qui pourrait être du sang. Si elle habille les trois militaires de treillis, si les costumes sont d’aujourd’hui, la mise en scène ne va pas plus loin dans l’actualisation, préservant l’universalité de l’histoire. Jeanne Candel non seulement nous la raconte, mais pénètre subtilement, sans jamais appuyer, à l’intérieur des replis de la psyché, à l’unisson de la musique de cet opéra de l’intime, ménageant des moments poignants, d’insoutenable suspense, au second acte : la tombée de la nuit et de ses traîtrises, la scène du viol sont remarquables, avec la complicité des lumières raffinées de César Godefroy.


Deux distributions alternent – sans rapport de hiérarchie. La seconde ne mérite qu’éloge : les belles voix des jeunes pousses, qui ont timbre et volume, parfaitement conduites, n’ont guère à envier à des aînés plus aguerris. A la fois témoin et voix intérieure, le chœur masculin et féminin est chanté par un Kiup Lee et une Alexandra Flood très habités. Les clés de fa se signalent par leur mordant et leur relief, soldatesque avinée mais aussi tourmentée, surtout le Junius de Danylo Matviienko et le Tarquinius de Timothée Varon, violeur pas si fruste, la basse rocailleuse de Niall Anderson restant encore un peu verte en mari trompé malgré lui. La Bianca de Cornelia Oncioiu est magnifique, servante qui a tout pour un jour devenir la maîtresse. A la Lucia de Kseniia Proshina on pourrait seulement souhaiter aigus plus ronde et plus liquides. Lucrèce est Ramya Roy : voix somptueuse, pleine d’harmoniques, de mezzo grave, ce que voulait Britten à travers Ferrier, pour une Lucrèce torturée, authentiquement tragique, à la ligne impeccablement modelée. Direction tendue, sombre, d’une implacable précision, de Léo Warynski à la tête de très talentueux solistes venus de l’Ensemble Multilatérale, de l’Académie de l’Opéra ou de l’Orchestre-atelier OstinatO – un orchestre réduit à dix-sept musiciens ne peut pas tromper son monde.



Didier van Moere

 

 

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