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Le tombeau d’un rêve oublié

Montpellier
Opéra Comédie
05/18/2021 -  et 20 mai 2021
Jules Massenet : Werther
Mario Chang (Werther), Marie-Nicole Lemieux (Charlotte), Pauline Texier (Sophie), Jérôme Boutillier (Albert), Julien Véronèse (Le Bailli), Yoann Le Lan (Schmidt), Matthias Jacquot (Johann), Léo Thiéry (Brühlmann), Emma De La Selle (Kätchen)
Chœur Dames Opéra national Montpellier Occitanie, Noëlle Gény (chef de chœur), Chœur Opéra Junior, Vincent Recolin (chef de chœur), Orchestre national Montpellier Occitanie, Jean-Marie Zeitouni (direction)
Bruno Ravella (mise en scène), Leslie Travers (scénographie, costumes), Linus Fellbom (lumières)


M.-N. Lemieux, M. Chang (© Marc Ginot)


Qu’elle fait chaud au cœur cette reprise à l’Opéra de Montpellier, même si les contraintes sanitaires auront limitées le retour du public à une unique représentation de Werther, évidemment complète. En attendant, la captation du spectacle permet de bénéficier de conditions sonores inédites, à même de faire ressortir tous les délices de raffinement de l’écriture pour les bois, du fait de la disposition des musiciens au parterre, avec en son centre l’excellent Jean-Marie Zeitouni. Invité dans ces mêmes lieux pour défendre le rare Chérubin de Massenet, voilà déjà six ans, le Québécois montre une attention inouïe à chaque détail, sculptant les phrasés avec élégance et raffinement, en des tempi volontairement mesurés dans les parties apaisées. A l’inverse, son geste sait s’enflammer pour faire ressortir autant les passages dansants que dramatiques, se montrant ainsi à la hauteur des nombreuses variations de climat de l’ouvrage. On espère retrouver très vite ce chef expressif, manifestement capable de galvaniser l’Orchestre national Montpellier Occitanie comme un seul homme, en une cohésion des grands soirs.


L’autre grand atout de cette rentrée montpelliéraine tient à la reprise de la production de Bruno Ravella, présentée à Nancy en 2018 et honorée par le Syndicat professionnel de la critique du Prix du meilleur spectacle en région. Une récompense amplement méritée, tant l’enfermement mental de Werther est d’emblée suggéré par un décor unique et austère, peu à peu renouvelé par une scénographie astucieuse, brouillant les repères par une perspectives improbable autant qu’un jeu sur l’espace: la scène peu à peu rétrécie, le plafond mouvant comme les portes brutalement refermées symbolisent les espoirs déçus du rôle-titre, reclus dans le tombeau de son «rêve oublié». La variété des éclairages, souvent en clair-obscur, ajoute à ce sentiment d’étrangeté qui évoque autant l’étroitesse du conformisme bourgeois que l’impasse morale de Werther.


Ravella a aussi la bonne idée d’étoffer le rôle du mari trompé», donnant à voir un Albert dévasté après avoir donné à sa femme les fatals pistolets. On tient là une mise en scène constamment inspirée dans sa finesse d’étude psychologique, qui saisit aux tripes dans les dernières scènes: de quoi encourager les maisons d’opéra à reprendre systématiquement les réussites de leurs consœurs afin de les montrer plus largement à travers le pays, comme ici. Gageons que la présence à cette représentation de Christophe Ghristi, directeur de l’Opéra de Toulouse, augure d’une telle reprise à l’avenir.


Sur scène, la Charlotte de Marie-Nicole Lemieux souffle le chaud et le froid pour sa prise de rôle, donnant le meilleur dans les graves pour mieux décevoir dans les parties déclamatoires, trop chaotiques dans les changements de registre. Le médium reste peu assuré, du fait d’un vibrato prononcé, ce qui confirme l’idée que Lemieux devrait se restreindre aux rôles comiques, où ses insuffisances techniques sont compensées par son aisance scénique. A ses côtés, Mario Chang séduit par ses phrasés soignés et aériens, malgré quelques détimbrages dans les attaques ornées. Son interprétation dramatique reste aussi en deçà des attentes dans les deux premiers actes, où son jeu trop extérieur peine à saisir les ambivalences de son personnage. Tous les seconds rôles se montrent parfait, aux premiers rangs desquels la lumineuse Pauline Texier (Sophie), portée par une voix suave et souple, au tempérament énergique.


On aime toujours autant Jérôme Boutillier, parfait de raideur aristocratique dans son rôle d’Albert: la minutie de l’articulation, comme la chaleur du timbre, sont toujours un régal chez ce baryton! Pourquoi ne pas lui proposer à l’avenir de chanter le rôle de Werther (voir notamment ici la prestation de Ludovic Tézier dans cette même tessiture)? On mentionnera encore le parfait Julien Véronèse (Le Bailli), aussi à l’aise dans la déclamation que dans la projection, le tout au service d’un mélange de goguenardise et de noblesse au niveau interprétatif. Du grand art, à l’image de ce spectacle très réussi, malgré quelques réserves pour les deux premiers rôles.



Florent Coudeyrat

 

 

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