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Prima la musica

Paris
Opéra Bastille
02/18/2021 -  
Giuseppe Verdi: Aida
Soloman Howard (Il Re), Ksenia Dudnikova (Amneris), Sondra Radvanovsky (Aida), Jonas Kaufmann (Radamès), Dmitry Belosselskiy (Ramfis), Ludovic Tézier (Amonasro), Alessandro Liberatore (Un messagero), Roberta Mantegna (Sacerdotessa)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, José Luis Basso (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Michele Mariotti (direction musicale)
Lotte de Beer (mise en scène), Christof Hetzer (décors), Virginia Chihota (artiste visuelle), Jorine van Beek (costumes), Alex Brok (lumières), Peter Te Nuyl (dramaturgie), Mervyn Millar (conception et direction des marionnettes)


S. Radvanovsky (© Vincent Pontet/Opéra national de Paris)


Seuls des critiques et des mécènes sont là, évidemment à distance les uns des autres: le spectacle est donné dans un Opéra fantôme. Nul ne sait si des représentations prévues au mois de mars auront lieu. En attendant, Arte retransmet la nouvelle production commandée par Stéphane Lissner et que doit aujourd’hui subir son successeur: un des plus beaux ratages des dernières années, que sauve, heureusement, l’interprétation musicale.


On comprend bien que l’histoire d’Aïda, où il est pourtant déjà question de l’asservissement d’un peuple par un autre, intéresse moins Lotte de Beer que l’histoire de l’opéra lui-même. D’autres ont d’ailleurs, depuis longtemps, adopté ce point de vue. Il ne s’agit que de dénoncer l’asservissement colonial, avec le pillage des œuvres d’art. Le deuxième acte se situe ainsi dans un musée, ce qui n’a rien de nouveau si l’on a vu à Garnier le Jules César de Laurent Pelly. Le ballet y est remplacé par une série de tableaux vivants inspirés de modèles célèbres, de L’Apothéose d’Homère d’Ingres au Raising the Flag on Iwo Jima de Joe Rosenthal en passant par le Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard de David, où Radamès joue au général consul. Est-il épris de la belle esclave éthiopienne? Non: elle n’est, comme son père, qu’une marionnette, symbole de l’humanité déniée au vaincu colonisé, que suivent comme ils peuvent la soprano et le baryton dépouillés de leurs personnages, comme si l’on voulait mettre à nu la nature même de l’imaginaire colonial. La fin semble également se dérouler dans les réserves d’un musée, où Radamès étreint la marionnette d’une Aïda qui s’en va. L’opéra de Verdi lui-même, vestige d’une époque révolue et honteuse, serait-il bon pour la cave ou le grenier? Loin de servir la cause qu’elle veut défendre, la production ne brasse finalement que des lieux communs, illisible et fumeuse, plombée de surcroît par la pauvreté des éclairages et d’une direction d’acteurs ne prenant vie qu’au début du troisième acte, quand les marionnettes ont disparu et qu’Amnéris et Radamès sont seuls: Lotte de Beer fait enfin du théâtre. On s’en veut d’avoir en son temps quelque peu étrillé la production d’Olivier Py, qui paraît aujourd’hui un chef-d’œuvre de cohérence.


La distribution atteint des hauteurs auxquelles ne parvenaient ni celle de 2013 ni celle de de la reprise de 2016, où figurait déjà Sondra Radvanovsky. Même si son timbre d’authentique spinto reste un peu sec, la Canadienne est une Aïda comme on en entend peu, par la longueur homogène de la voix, la maîtrise parfaite du souffle et de l’émission, avec dans l’aigu des pianissimi de rêve, la noblesse magnifique de la ligne, la vérité de l’incarnation – à laquelle les errements de la mise en scène enlèvent évidemment de sa force. Ludovic Tézier, sans doute le plus beau baryton Verdi de l’heure, n’en pâtit pas moins: malgré la splendeur du timbre et la perfection du style, il ne peut donner toute sa mesure. Jonas Kaufmann, lui, n’est plus si glorieux, contraint de composer avec la fragilité d’une voix dont le velours s’est heureusement conservé. Mais c’est un immense artiste, qui fait de ses limites un atout, négociant souvent ses aigus en voix de tête – exemplaire messa di voce à la fin de «Celeste Aida», sans doute pour mieux déployer ailleurs leur puissance, Radamès certes peu héroïque, humain trop humain: en connaît-on d’aussi raffinés? Si l’on peut préférer des Amneris plus volcaniques, au grave plus généreux, on sait gré à Ksenia Dudnikova de ne pas transformer, comme c’est trop souvent le cas, en harengère la princesse jalouse, de préserver, jusque dans ses éclats, la continuité de la ligne et l’homogénéité des registres. Des deux basses, assez impressionnantes, on préfère au Roi un peu brut de Soloman Howard le Ramfis grandiose de Dmitry Belosselskiy. Et le Messager d’Alessandro Liberatore, sous-distribué comme la Prêtresse de Roberta Mantegna, est loin de passer inaperçu.


Michele Mariotti dirige un orchestre réduit mais toujours au sommet malgré les circonstances, ainsi qu’un chœur – masqué – des grands soirs. Direction analytique, décapée, à rebours d’une tradition, certes plus soucieuse de couleurs que d’urgence dramatique, très attentive aux combinaisons de timbres de l’orchestre de Verdi, dont il nous révèle toute l’originalité en le faisant sonner autrement. Cette Aïda frustrante et irritante consacre la primauté de la musique là où l’on voulait aussi du théâtre. Et que des artistes privés de public la fassent vivre avec une telle ferveur met du baume à l’âme.



Didier van Moere

 

 

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