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Jonas Kaufmann en promenade au Prater

Baden-Baden
Festspielhaus
02/01/2020 -  et 7 (München), 10 (Budapest), 12 (Stuttgart), 15 (Berlin), 20 (Paris), 22 (Hamburg), 26 (Bruxelles), 28 (Düsseldorf), 30 (Luzern) janvier 2020
Airs, duos, chansons et pièces d’orchestre de Johann Strauss fils, Robert Stolz, Emmerich Kálmán, Franz Lehár, Rudolf Sieczynski, Hermann Leopoldi, Hans May, Peter Kreuder, Georg Kreisler et Carl Zeller
Jonas Kaufmann (ténor), Rachel Willis-Sørensen (soprano)
PKF - Prague Philharmonia, Jochen Rieder (direction)


J. Kaufmann, R. Willis-Sørensen, J. Rieder
(© Festspielhaus Baden-Baden)



Attrayante réussite que le récent CD de Jonas Kaufmann intitulé «Wien»: une déclaration d’amour à la capitale de la valse, de la part sinon d’un Viennois de souche du moins d’un voisin bavarois très au fait des idiomatismes de l’endroit. Un récital à motivations commerciales fortes, mais pour lequel le ténor munichois s’est amusé à trouver les facettes les plus authentiques possibles, et surtout s’est ingénié à éviter tout excès de sirop. Même les arrangements d’orchestre sonnent juste, et puis, excusez du peu, ce sont les Wiener Philharmoniker qui ont été engagés pour les exécuter. Donc une bonne affaire, à verser au même rayon discographique que des récitals analogues signés Piotr Beczala, ou plus loin de nous Fritz Wunderlich, Nicolai Gedda, voire, côté dames, Elisabeth Schwarzkopf.


Allait-il en être de même pour cette longue tournée, intitulée cette fois «Mein Wien»: onze dates prévues pendant tout le mois de janvier, à raison d’un concert tous les deux ou trois soirs ? D’abord on regimbe en voyant l’orchestre annoncé, ce PKF - Prague Philharmonia certes coutumier des récitals discographiques de stars du chant, mais dont les aspects mercenaires à bas prix ne sont pas toujours engageants. Et puis la santé vocale de Jonas Kaufmann, surtout en période hivernale, peut s’avérer fluctuante, et ce mois de janvier ne fait pas exception : le concert du 18 à Nuremberg a dû être annulé en raison d’un refroidissement, et pour celui de Paris, deux jours plus tard, la voix était paraît-il encore altérée. Donc avouons qu’on se rendait à Baden-Baden, pour ce tout dernier concert de la tournée, en ne sachant pas trop ce qu’on allait pouvoir y trouver, et que la vue, en rentrant dans la salle, de deux micros plantés de part et d’autre du podium du chef, donc annonçant a priori une sonorisation des voix, nous a encore moins rassuré.


Premières craintes immédiatement levées avec l’Ouverture d’Une nuit à Venise de Johann Strauss fils. Le PKF - Prague Philharmonia est une formation au son plutôt généreux, qui parcourt cette musique décemment sous la baguette de Jochen Rieder, chef dont la carrière paraît surtout consacrée à l’opéra, du moins quand il n’est pas requis pour accompagner les récitals avec orchestre de Jonas Kaufmann, ce qui lui arrive assez souvent. Une direction précise, sans manières, voire dotée d’un véritable charme, même si on peut toujours discuter de son élégance viennoise, çà et là un peu alourdie. En tout cas c’est efficace, voire beaucoup mieux que le simple faire-valoir que l’on redoutait. Plus loin dans le concert, même brio de bon aloi pour les Polkas Tik-Tak et Leichtes Blut de Johann Strauss fils, voire pour la Marche opus 898 (sic) de Robert Stolz, dont la pesanteur triviale est correctement estompée. Et puis la valse extraite de l’opérette Wiener Café, toujours de Robert Stolz, reste un bien joli moment d’effusion mélodique. Certes cela date beaucoup, mais tout les vieux auditeurs réguliers de France Musique ont forcément mémorisé ce thème au charme entêtant, qui servait autrefois d’indicatif à l’indéboulonnable émission de musique légère d’Adolphe Sibert...


Après l’ouverture, entrée en scène de Jonas Kaufmann, très élégant, en frac. Et petit discours liminaire au micro, courte présentation des spécificités d’ambiance que ce programme cherche à retrouver, depuis le chic de l’opérette du XIXe siècle jusqu’à ces chansons entraînantes de l’entre-deux-guerres à propos desquelles le ténor allemand emploie la dénomination spécifique de Schlager (une rengaine, une scie, un tube... encore que ce terme allemand n’ait pas tout à fait les mêmes connotations péjoratives). En fait, la principale priorité semble de rassurer le public à propos de la présence des micros : ils ne serviront pas pour la première partie, entièrement consacrée à Johann Strauss fils, mais exclusivement ensuite pour ces chansons qui nécessitent une intimité et un rapport au texte impossibles à obtenir avec la projection habituelle d’une voix d’opéra. Et effectivement, au cours de la soirée, chaque fois que Jonas Kaufmann utilise l’amplification cela s’entend immédiatement, avec un timbre modifié, un peu plus métallique, mais surtout une façon de chanter très différente. Notons au passage que bien que ténor d’opéra, il sait parfaitement se servir d’un micro, avec des inflexions subtilement cajoleuses et surtout de très bons rapports de dynamique, en évitant de trop faire claquer les consonnes.


Mais pour l’instant Jonas Kaufmann débute avec sa vraie voix: le difficile air du Duc «Sei mir gegrüsst, du holdes Venezia», toujours tiré d’Une nuit à Venise (ou du moins de la révision de cette opérette en 1923 par Erich Wolfgang Korngold, puisque c’est ce dernier qui a ajouté cet air, en fait extrait d’un autre ouvrage de Strauss, pour étoffer un rôle construit sur mesure pour Richard Tauber). La voix de Jonas Kaufmann paraît un peu tendue, voire éprouvée par cette écriture qui demande beaucoup de souffle, mais les aigus sont glorieux, même s’ils seraient vraisemblablement plus appropriés dans Wagner. Même relatif manque de légèreté dans la Valse de Caramello (l’autre rôle ténor de l’ouvrage, mais ténor buffo cette fois), où la prosodie paraît un peu empêtrée. D’ailleurs on pourra noter qu’ensuite, tous les autres extraits d’opérette choisis par Jonas Kaufmann sont en fait écrits pour des barytons légers, tessiture moins exposée qui lui sied mieux, du moins dans ce type de musique, encore que les moyens restent un peu encombrants, en particulier dans le Duo de la montre extrait de Die Fledermaus. Il est vrai que là il faut compter aussi avec la soprano invitée pour donner la réplique : la jeune américaine Rachel Willis-Sørensen. De loin pas non plus une voix spécifiquement d’opérette, mais d’une classe qui explose à chaque réplique : le volume de projection est imposant, le timbre magnifique et même physiquement la chanteuse crève l’écran. On rêverait de l’entendre dans la Maréchale ou Sieglinde, mais en attendant, dans une Csárdás de Rosalinde magistralement envoyée ou une enjôleuse Chanson de Vilja de La Veuve joyeuse, c’est extraordinaire aussi. Point d’équilibre, enfin, avec le duo Comte/Comtesse extrait de Wiener Blut : le ton est juste, Jonas Kaufmann enfin à l’aise, sa partenaire distinguée et mutine juste ce qu’il faut, quelques pas de valse à deux devant le chef pour faire bonne mesure, et c’est gagné!


Seconde partie plus cohérente, où grâce justement au micro, Jonas Kaufmann, parvient mieux à ciseler son propos : plus intime, davantage tendre et teinté de mélancolie. «Zwei Märchenaugen» extrait de Die Zirkusprinzessin fait mouche, drame intérieur subtilement esquissé, et ensuite le charme de deux célèbres Wienerlieder de Robert Stolz : «Im Prater blüh‘n wieder die Bäume» et «Wien wird schön erst bei Nacht», souligné au besoin par un accent viennois très subtilement reproduit. De même l’indispensable «Wien, du Stadt meiner Träume» final n’a rien d’une carte postale, mais séduit au contraire par son authenticité.


Pas moins de cinq bis, dont un en duo. Autant de réussites, avec une palette assez large, de l’exubérance de «Heut ist der schönste Tag in meinem Leben» de Hans May, que le public ne peut s’empêcher de souligner en tapant des mains en cadence, à la jolie rengaine «Sag beim Abschied leise „Servus“, nicht Lebwohl und nicht Adieu» de Peter Kreuder, qui réussissait naguère si bien à Hermann Prey et qu’ici une large fraction de l’auditoire connaît par cœur au point de la chanter à mi-voix. On préfère cependant l’ambiance joliment descriptive de «In einem kleinen Café in Hernals» d’Hermann Leopoldi ou encore l’humour de cabaret corrosif de «Der Tod, das muss ein Wiener sein» de Georg Kreisler. Diplomatiquement, on note que Jonas Kaufmann n'a pas osé une autre célèbre chanson aigre-douce du même : vWie schöne wäre Wien ohne Wiener!» («Que Vienne serait belle sans les Viennois!»). Historiquement il est d’ailleurs intéressant de se pencher sur le destin de ces musiciens peu connus, qui eurent tous à souffrir de la période nazie après l’Anschluss : collaborateurs tièdes mais à la carrière finalement marginalisée (Peter Kreuder), fugitifs contraints à l’émigration en catastrophe (Robert Stolz, Georg Kreisler), voire déportés (Hermann Leopoldi à Buchenwald). Vienne, toujours présente aux moments critiques de l’histoire, avec son exaltation joyeuse mais aussi ses destins plus amers.



Laurent Barthel

 

 

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