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Verdict mitigé

Dijon
Opéra
02/12/2020 -  et 14*, 16 février 2019
Brice Pauset : Les Châtiments (création)
Allen Boxer (Georg, Gregor, Officier), Michael Gniffke (Le Père, Monsieur Samsa, Le voyageur), Emma Posman (Frieda, Grete), Helena Köhne (La Mère, Madame Samsa), Ugo Rabec (Gérant, Soldat), Anna Piroli (La bonne), Zakaria El Bahri, Alessandro Baudino, Takeharu Tanaka (Les locataires), Grégoire Lagrange (Le condamné), Zakaria El Bahri, Alessandro Baudino, Dana Luccock, Annalisa Mazzoni, Anna Piroli, Takeharu Tanaka (Madrigal)
Orchestre Dijon Bourgogne, Emilio Pomàrico (direction)
David Lescot (mise en scène), Alwyne De Dardel (décors), Paul Beaureilles (lumières), Mariane Delayre (costumes)


(© Gilles Abegg/Opéra de Dijon)


Si Brice Pauset (né en 1965) a jeté son dévolu sur ces trois nouvelles de Kafka là où d’autres avant lui n’en avaient traité qu’une – Michaël Levinas, Silvia Colasanti (La Métamorphose) ou Philip Glass (Dans la colonie pénitentiaire) –, c’est que chacune agissait comme «une troublante anticipation de questions actuellement brûlantes»: la crainte des anciennes générations face aux générations montantes (Le Verdict), la déviation d’avec la norme (La Métamorphose) et les affres de la bureaucratie (Dans la colonie pénitentiaire).


Fin dialecticien, le compositeur bisontin (qui fête à cette occasion ses dix ans de résidence à l’Opéra de Dijon) a souhaité concilier le stilo concitato montéverdien et les expériences formelles opérées par certains grands opéras du XXe siècle sans contrarier les vertus narratives du texte kafkaïen – l’adaptation du librettiste Stephen Sazio se montre d’une fidélité rigoureuse au texte original.


La mise en scène de David Lescot alterne stylisation des décors d’intérieur (ouvertement inspirés du peintre danois Vilhelm Hammershøi) dans les deux premières nouvelles, et réalisme de la machine (gigantesque assemblage de roues dentelées extrait des Temps modernes) utilisée pour exécuter les condamnés dans la troisième. Voir l’officier se résoudre à s’allonger nu sous son dispositif infernal, empalé par les clous et soulevé dans une cataracte d’hémoglobine demeure le moment le plus mémorable de cette production scéniquement très accomplie. Une lecture littérale donc, fidèle à la lettre mais aussi à l’esprit, le style de Kafka recourant à la langue la plus limpide qui soit (cet «allemand de chancellerie» pointé par Marthe Robert), même si Brice Pauset s’est montré sensible au Prager Deutsch d’où il induit un type de vocalité singulier, sorte de débit précipité noté avec une extrême minutie rythmique. Les rares cantabile sont réservés aux pics d’intensité dramatique. L’orchestre (une soixantaine de musiciens) «reprend dans ses grandes lignes la Septième Symphonie d’Anton Bruckner», mais ne dispense ses tutti qu’avec parcimonie.


Il y a deux manières d’écouter ce qui se passe en fosse. L’une et l’autre s’imposent d’ailleurs à l’auditeur par intermittence: la première consiste à goûter le mickey-mousing (dixit Pauset lui-même), à savoir cette faculté qu’à la musique de coller au plus près aux diverses situations, via un langage qui procède du Lachenmann seconde manière (celui de Mouvement et de la Tanzsuite mit Deutschlandlied), avec ses éléments «étrangers» (monceaux de gammes, glissandos des claviers, citations) incorporés à un tissu musical au relief accidenté; la seconde consiste à s’étonner du manque de sollicitation du grand orchestre symphonique en général et des tubas wagnériens en particulier au profit d’une pâte grisâtre, animée par un pupitre de percussions hyperactif (cloches tubulaires!), où la juxtaposition semble primer sur la composition.


L’écriture vocale, délibérément anti-lyrique (plus recitar que cantando) déçoit: le «madrigal», placé dans la fosse (au demeurant peu audible) et censé altérer la voix de Gregor métamorphosé en cafard, est peu exploité, à l’instar des tessitures propres aux chanteuses/chanteurs. Ainsi de Michael Gniffke, perclus la plupart du temps dans un parlando engorgé qui ne valorise guère son timbre caractéristique de ténor de caractère.


D’un professionnalisme sans faille à la tête de l’Orchestre Dijon Bourgogne, Emilio Pomàrico ne perd jamais de vue le tactus de cette trilogie dont la progression dramatique doit beaucoup au déroulé cinématographique – le jeu des rideaux et le glissement du plateau façonnent un espace scénique très mobile. Allen Boxer assume trois rôles écrasants (Georg, Gregor, Officier) avec une aisance gestuelle et corporelle confondante, particulièrement dans le (quasi-) monologue de l’Officier de La Colonie. Hélas, l’absence de décors se révèle ici fort préjudiciable pour la projection du baryton américain; il faut tendre l’oreille.


Plus en retrait, Michael Gniffke a lui aussi son heure de gloire dans le rôle du Père du Verdict, d’une vis comica irrésistible lorsqu’il saute sur son lit tel un convulsionnaire. Les moments de lyrisme reviennent à Emma Posman en Grete, jeune sœur du malheureux Gregor et victime collatérale des préjugés de la société de son temps. Son soprano tendre trouve à s’épanouir dans l’un des rares ariosos concédés par la partition.



Jérémie Bigorie

 

 

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