About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Benjamin domine

Paris
Maison de la radio
02/07/2020 -  
Gérard Pesson : Ravel à son âme
George Benjamin : DuetPalimpsests
Hans Abrahamsen : Left, Alone (*)
Claire-Marie Sinnhuber : Toccata (création)

Alexandre Tharaud (*), Vanessa Benelli Mosell (piano)
Orchestre national de France, Sir George Benjamin (direction)


G. Benjamin (© Chris Christodoulou)


Le dernier festival Présences nous avait laissé un léger goût d’inabouti. En cause, l’absence de Wolfgang Rihm (pour raison de santé) et de création majeure du maître, lequel ne put s’acquitter à temps de la commande que Radio France lui avait passée pour le concert d’ouverture. Si son catalogue (une quarantaine d’opus) est loin d’aligner un nombre d’œuvres comparable à celui du compositeur de Jagden und Formen, Sir George Benjamin (né en 1960) s’est davantage impliqué dans la direction artistique du festival qui le met à l’honneur cette année. D’où – à tout le moins sur le papier – une série de concerts très prometteuse.


C’est à la tête d’un National des grands soirs que George Benjamin en lance le coup d’envoi. Sa direction sans ostentation et un peu inhibée se révèle d’une grande clarté.
Dans Ravel à son âme (2011), Gérard Pesson (né en 1958) revisite la subtile mécanique de «l’horloger suisse» (l’expression est de Stravinsky) avec son art coutumier de la réminiscence. «Récupérateur de luxe», il nous brosse un paysage sonore fantasmagorique où transitent chants d’oiseaux et marches funèbres, faisant se succéder fracas de la caisse claire et guirlandes mélancoliques du célesta. Gageons que le chef se souvenait du jeune pianiste qu’il fut: «La pièce que j’ai le plus travaillée, c’est la Toccata du Tombeau de Couperin de Ravel» (entretien avec Arnaud Merlin inclus dans les notes de programme).


On ne saurait trouver plus dissemblables que les approches respectives du turbulent Thomas Adès (né en 1971) et du concentré George Benjamin – frères ennemis de la scène musicale britannique – à l’égard du concerto pour piano. Quand celui-là, avec le sens du syncrétisme qui le caractérise, mêle le soliste à un grand orchestre avec l’appoint optionnel d’une vidéo (In Seven Days, 2008), celui-ci aime au contraire à se créer des contraintes, à l’image de ces jeunes poètes qui, pris de vertige devant l’infinité des possibles que recèle le vers libre, trouvent plus rassurant de s’enferrer dans l’alexandrin. Avec Duet (1908), Benjamin s’est employé à diviser «le piano en quelques registres distincts qui trouvent des équivalences de timbres dans l’orchestre». Ce dernier, délesté des violons et riche en percussions résonantes, favorise une famille particulière d’instruments en lien avec la partie soliste. On a peine à imaginer que l’œuvre soit dédiée au surdoué Pierre-Laurent Aimard tant la complexité (rythmique, technique) en semble évaporée. Bien que jouant de mémoire, Vanessa Benelli Mosell n’en a sans doute pas maîtrisé tous les paramètres: les martellements initiaux condensés dans le même registre (et auquel le premier tutti se fait aussitôt l’élargissement) et les notes fortissimo, à la frappe de médaille, manquent de projection.


On passera sur la Toccata de Claire-Mélanie Sinnhuber (née en 1973), totalement inoffensive et anecdotique, pour saluer la performance d’Alexandre Tharaud dans Left, Alone (2015), dont il assurait en outre la création française. Contrairement à Benjamin, qui s’était fixé des contraintes proprio motu, Hans Abrahamsen (né en 1952) fait en quelque sorte de nécessité vertu en écrivant pour la seule main gauche: «Je suis né avec une déficience de la main droite [...] cela m’a aussi bien évidemment conduit à m’intéresser particulièrement à toutes les œuvres écrites pour la main gauche, par Ravel et par d’autres». Le pianiste français s’est totalement approprié la partition (qu’il a enregistrée pour Erato), dont les raffinements timbriques (tintinnabulement des percussions, solo de cor...) rappelle la musique française. D’où vient, dès lors, que l’œuvre n’ait pas totalement convaincu sur la durée ? Trop segmentée, elle ne donne pas à percevoir de véritable ligne(s) directrice(s), cependant que la dimension lyrique (sous-exploitée) du jeu d’Alexandre Tharaud se dissipe en une dispensable parenthèse bruitiste (pincements des cordes à même la table d’harmonie – geste éculé dont on ne ressent pas ici la réelle nécessité).


On regagne les hauteurs avec ce que nous considérons comme le chef-d’œuvre orchestral de George Benjamin, Palimpsests, créé dans sa version définitive par Pierre Boulez et l’Orchestre symphonique de Londres en 2002. Très ciselée, la direction du compositeur rend audible cette stratification des différentes couches qui n’ont de cesse de s’entrechoquer: ainsi de ces phrases passionnées aux cordes aussitôt chahutées par le tumulte des percussions avant que n’émergent, telles de gigantesques colonnes venues du fond des âges, d’amples et âpres sonorités de cathédrale aux cuivres. Mais voici que l’encre du palimpseste coule (glissandos des trombones, atomisation du discours); et l’œuvre de s’achever abruptement dans l’équilibre précaire des différentes lignes de force. Le compositeur, qui a laissé de Palimpsests un enregistrement princeps à la tête de l’Orchestre de la Radio bavaroise (Neos), a tiré le meilleur des musiciens, très applaudis par le public.


Le site du festival Présences



Jérémie Bigorie

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com