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Supercherie

Geneva
Grand Théâtre
01/22/2020 -  et 24, 26, 28*, 30 janvier, 1er, 2 février 2020
Wolfgang Amadeus Mozart : Die Entführung aus dem Serail, K. 384
Claire de Sévigné (Blondchen), Olga Pudova (Konstanze), Julien Behr (Belmonte), Denzil Delaere (Pedrillo), Nahuel Di Pierro (Osmin)
Chœur du Grand Théâtre, Alan Woodbridge (chef de chœur), Orchestre de la Suisse Romande, Fabio Biondi (direction musicale)
Luk Perceval (mise en scène), Philipp Bussmann (décors), Ilse Vandenbussche (costumes), Ted Stoffer (chorégraphie), Mark Van Denesse (lumières), Luc Joosten (dramaturgie)


(© Carole Parodi)


« Vous ne verrez pas L’Enlèvement au sérail. » Quelques jours avant la première de Die Entführung aus dem Serail au Grand Théâtre de Genève, cette affirmation du chef Fabio Biondi dans un quotidien local avait de quoi susciter les pires craintes. Malheureusement, elles se sont avérées. Il faut dire que les choses avaient déjà très mal commencé bien auparavant. Lors de la présentation de sa première saison genevoise en avril dernier, le nouveau directeur, Aviel Cahn, avait déclaré qu’il allait programmer le chef-d’œuvre de Mozart, mais sans les dialogues, qu’il jugeait «racistes et misogynes, vieillissant mal et trahissant des mentalités dépassées». Mais sait-il seulement que l’œuvre étant un Singspiel, une comédie donc, tout ne doit pas forcément être pris au pied de la lettre ? D’ailleurs, l’ouvrage est représenté avec ses dialogues depuis près de 250 ans sans que personne ne s’en soit jamais offusqué. Et puis pourquoi vouloir proposer à tout prix un opéra si on ne l’aime pas, les titres ne manquent pas dans le répertoire lyrique. La démarche rappelle un certain artiste russe à la mode qui prend un malin plaisir à vomir sur les opéras qu’il met en scène. Mais revenons à Genève : Aslı Erdogan, écrivain turque engagée, qui porte le même nom que son président auquel elle est farouchement opposée, a été chargée d’écrire de nouveaux dialogues. En fin de compte pourtant, sans qu’on sache pourquoi, cette nouvelle mouture ne verra jamais le jour, et ce sont des citations d’un de ses anciens romans (Le Mandarin miraculeux, 2006) qui remplacent les dialogues originaux dans le spectacle. Des textes qui traitent de la solitude, de la difficulté à vivre ensemble, de la vieillesse et de la migration. Des textes parfois intéressants, certes, mais sans aucun rapport avec L’Enlèvement au sérail, lequel devient dès lors une succession décousue d’airs et d’ensembles. Un personnage (le pacha Selim) a été supprimé et plusieurs passages musicaux, dont le finale entier, ont été éliminés ou remplacés par d’autres pièces du compositeur. Lamentable patchwork. Pour couronner le tout, le metteur en scène, Luk Perceval, a imaginé un triste décor unique consistant en une structure en bois pivotant sans cesse ; il remplit ce huis clos déprimant de personnages âgés qui ne font que courir parmi la foule. Dans la presse genevoise, l’artiste belge s’est gaussé de mots ronflants pour décrire son « concept » et masquer l’indigence de sa production. Pitoyable cache-misère. Au final, le Singspiel de Mozart devient glauque et sombre, un comble ! Ce n’est pas L’Enlèvement au sérail qu’on propose au public. Il y a clairement tromperie sur la marchandise. Supercherie ?


Musicalement, les choses ne valent guère mieux. A la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, Fabio Biondi ne réussit qu’à offrir une lecture brouillonne et imprécise de la partition de Mozart, cherchant constamment ses tempi et se retrouvant à plusieurs reprises en décalage avec les chanteurs. Mais le plus grave, c’est que le chef a accepté le charcutage de l’œuvre ; accessoirement, il a aussi accepté que les textes parlés, sonorisés qui plus est, se superposent à la musique. Pour cela, il a perdu tout crédit et toute crédibilité. On le sait, il ne faut pas compter sur Aviel Cahn pour aligner une distribution digne de ce nom, les chanteurs n’étant que des faire-valoir pour le nouveau directeur. Comment expliquer sinon qu’il ait confié le rôle d’Osmin à un interprète (Nahuel Di Pierro) aux graves inexistants ? Julien Behr est un Belmonte au timbre lumineux mais fâché avec la technique. La plus belle prestation masculine est proposée par Denzil Delaere, Pedrillo raffiné et délicat. Chez les dames, Olga Pudova est une Konstanze aux vocalises laborieuses, alors qu’en Blondchen, Claire de Sévigné compense par une grande sensibilité une ligne de chant aux aigus un peu étriqués.


Aviel Cahn doit être très satisfait de son coup car ce qui compte pour lui, bien plus que la qualité d’une production, c’est de faire le buzz, comme on dit aujourd’hui. Avec ce pseudo-Enlèvement au sérail, il a été abondamment servi. Mais pense-t-il à tous les spectateurs qui se sont sentis floués de n’avoir pas assisté à l’opéra de Mozart ? S’il avait un tant soit peu de courage, il accepterait de rembourser les billets.



Claudio Poloni

 

 

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