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Paris
Philharmonie
01/17/2020 -  et 16 (Luxembourg), 23 (Lugano) janvier 2020
Richard Wagner : Der fliegende Holländer: Ouverture
Paul Hindemith : Symphonie «Mathis der Maler»

Antonín Dvorák : Symphonie n° 9 «Du nouveau monde», opus 95, B. 178

Chicago Symphony Orchestra, Riccardo Muti (direction)


R. Muti (© Todd Rosenberg)


Sous la direction de Riccardo Muti, l’agenda de l’Europe Tour 2020 du Chicago Symphony Orchestra (CSO) s’annonce bien rempli, avec dix concerts en deux semaines dans six pays différents, et quelques particularités. Une large escapade en Italie après ce concert parisien, en commençant par Naples, ville natale de Riccardo Muti, puis Florence et Milan. Et au Musikverein de Vienne le 14 janvier dernier, un Requiem de Verdi dédié à la mémoire de Mariss Jansons, journée solennelle commencée dans l’après-midi par une cérémonie d’hommage au chef disparu, avec les Wiener Philharmoniker sur le podium, successivement dirigés par Riccardo Muti et Valery Gergiev, et de très nombreux musiciens de Chicago disséminés dans le public.


Pour ces retrouvailles avec la Philharmonie de Paris, l’enthousiasme des membres du CSO a été semble-t-il probant, en redécouvrant les conditions acoustiques offertes par la salle. Ce qui ne va pas de soi pour tous les nouveaux lieux européens qu’ils visitent, si l’on en juge par l’effet dissuasif produit en 2017 par l’Elbphilharmonie de Hambourg sur les mêmes (il n’y sont plus retournés). Cela dit, installer les sonorités particulièrement opulentes et cuivrées du Chicago Symphony dans la réverbération généreuse de la salle parisienne ne va pas sans occasionner quelques flottements. Au début de cette Ouverture du Vaisseau fantôme de Wagner on identifie immédiatement le légendaire Chicago sound, mais si la somptueuse cylindrée est bien au rendez-vous, on a apparemment oublié de lui graisser certains amortisseurs. Emportées par la battue nerveuse de Riccardo Muti, les cordes peinent à se synchroniser entre pupitres, quant aux cors légendaires de la formation ils n’ont pas leur infaillibilité habituelle. Difficile aussi de savoir ce que Riccardo Muti cherche à nous dire au cours de cette ouverture, a priori d’un romantisme très descriptif mais ici plutôt abstraite, et dont l’apothéose finale démarre avec une allure tellement majestueuse que le vaisseau wagnérien y prend des allures de paquebot.


Avec la Symphonie «Mathis der Maler» de Hindemith, tout paraît davantage en phase, y compris cette même froideur d’approche qui cadre mieux avec une musique délimitée au cordeau. Direction rigoureuse, par opposition de grands blocs, Muti paraissant peu déterminé à travailler sur une quelconque dramatisation des timbres et des attaques. «Die Grablegung» produit ainsi un effet de désolation assez glaçant, et l’«Engelkonzert» manque des vives vibrations colorées de vitrail attendues (rappelons qu’il s’agit quand même ici d’une évocation musicale du retable d’Issenheim de Matthias Grünewald, où les notions de couleur sont tout sauf accessoires). C’est dans «La Tentation de saint Antoine» que les aplats de violence des cuivres fonctionnent le mieux, avec des paroxysmes d’une ampleur somptueusement brucknérienne. On notera quelques moments magiques, dont ce tutti qui s’éteint net, à la fin du premier paroxysme fortissimo du Sehr lebhaft, silence gommé par l’écho de salle et dont réémerge immédiatement la flûte de Stefán Ragnar Höskuldsson, notée piano mais d’une incroyable intensité. Et puis, vers la fin du mouvement, une fanfare aux accents dûment soulignés à contretemps, comme le requiert la partition, mais avec un rien de swing en plus, comme si le naturel américain des célèbres CSO’s Brass reprenait un peu trop facilement le dessus.


Après l’entracte, on appréhende que la Neuvième Symphonie de Dvorák souffre davantage de ces sonorités presque oppressantes par moments. Mais là, bonne surprise, l’approche est plus sociable, avec bien davantage de nuances et de phrasés, même si pour Riccardo Muti l’heure n’est toujours pas à l’exaltation des saveurs de terroir. Un Dvorák plus américain que tchèque, ce qui en l’occurrence n’est pas un contresens pour cette symphonie «du nouveau monde», mais surtout une finition orchestrale tellement exceptionnelle qu’il n’y a vraiment aucune raison valable de bouder son plaisir. Et surtout pas dans le Largo, où bien sûr le cor anglais de Scott Hostetler est à fondre, mais peut-être encore davantage l’accompagnement sculpté jusqu’au plus infime détail par Muti, avec exactement la même subtilité dans les relances qu’il met d’habitude à l’opéra quand il s’agit de seconder une grande voix en pleine action. Un travail tout en finesse, qui fourmille de petites particularités réalisées avec un raffinement inouï, comme par exemple cet équilibre diaphane entre trémolos aux violoncelles et pizzicati aux seconds violons, au cours de la deuxième section du mouvement. Et on peut compter ensuite sur le retour des cuivres pour nous donner un Final parfait, où cors, trompettes, trombones et tuba (ah ce tuba : Gene Pokorny, un phénomène à lui tout seul !) s’en donnent à cœur joie, mais en évitant cette fois de trop écraser le reste de la substance de l’orchestre. Dernier accord artistement modelé par Muti, auquel les applaudissements du public, comme souvent un peu trop prompts à se déclencher à la Philharmonie, n’accordent pas le minime répit silencieux qui rendrait l’instant encore plus magique.


Bis annoncé à la salle, en italien, par Riccardo Muti : l’Intermezzo de Fedora de Giordano. Un suave moment de lyrisme (qui reprend le thème du fameux air «Amor ti vieta», incontournable pour tout ténor à succès), mais que le chef italien sait cependant corseter avec juste ce qu’il faut de bon goût pour l’empêcher de sombrer dans la guimauve. Et là encore une démonstration de technique orchestrale d’une aisance absolument grisante. A quand le prochain Europe Tour du Chicago Symphony? Car difficile de résister à ce qui pourrait bien devenir une addiction. A ce propos, je ne peux que souscrire aux propos de mon collègue journaliste rhénan Wolfram Goertz, rendant compte du premier concert de cette tournée 2020, à la Philharmonie de Cologne : «Il y a de bons orchestres. Il y a d’excellents orchestres. Il y a des orchestres grandioses. Et puis il y a le Chicago Symphony Orchestra».



Laurent Barthel

 

 

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