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Pour les gourmands

Baden-Baden
Festspielhaus
12/01/2019 -  
Antonín Dvorák : Légendes, opus 59, B. 122: 5. Allegro giusto – Quatre Chœurs, opus 29, B. 59: 2. Ukolébavka – Danses slaves, opus 72, B. 147: 8. Grazioso e lento, ma non troppo, quasi tempo di valse – Symphonie n° 8 en sol majeur, opus 88, B. 163
Ludwig van Beethoven : Concerto pour piano n° 5 en mi bémol majeur, opus 73

Elisabeth Leonskaïa (piano)
Budapesti Fesztiválzenekar, Iván Fischer (direction)


E. Leonskaïa/I. Fischer (© Julia Wesely/Akos Stiller)


Début de concert irrésistible : le large thème en la bémol de la Cinquième Légende de Dvorák nous cueille à froid, mais c’est pour mieux nous enivrer immédiatement des cordes de l’Orchestre du Festival de Budapest. Un véritable bain sonore, mais sans rien d’ostentatoire : juste une authenticité spontanément généreuse, l’expression d’un savoir-faire typiquement Mitteleuropa. A part le Concertgebouw d’Amsterdam et ses patines en clair-obscur, on ne voit aujourd’hui aucune autre phalange du vieux continent capable d’une entrée en matière aussi intensément caractérisée. La pièce est courte, moins de cinq minutes, mais nous enveloppe déjà dans un univers fascinant, avec de surcroît sous la baguette d’Iván Fischer un art consommé de mettre les phrasés en scène, nombreuses indications ritardando négociées de façon relativement appuyée mais toujours avec un goût parfait. Et pendant ce temps, au premier rang des cordes, on remarque un musicien assis, attentif, mais qui bizarrement ne joue de rien. Que fait-il là ?


Peut-être un soliste pour la pièce suivante, exclusivement chorale ? On sait, pour avoir déjà découvert antérieurement cette autre facette de l’Orchestre du Festival de Budapest, qu’Iván Fischer aime bien à l’occasion faire chanter ses musiciens, tous dotés d’une solide formation vocale. Mais cette fois, encore plus fort, la Berceuse opus 29 n° 2 de Dvorák est interprétée sans regroupement préalable des quatre voix, chacun restant simplement debout à la place qu’il occupe dans l’orchestre d’habitude. On imagine que cette dispersion requiert encore davantage de sûreté dans l’intonation, et cependant la prestation reste de haut niveau: décidément une belle chorale! Et que fait pendant ce temps notre musicien inconnu : eh bien il s’est levé, il chante avec les basses, mais rien de plus.


Résolution de l’énigme à la quatrième minute de la Huitième Danse slave de l’Opus 72, où enfin le quidam se lève à nouveau et sort de sa poche une clochette ! Il est juste chargé d’une ponctuation, dans le Poco tranquillo de cette danse confortablement développée : un la bémol cristallin qui résonne quinze fois, à intervalles irréguliers, comme un petit clin d’œil, et c’est sans doute afin d’obtenir une précision maximale qu’Iván Fischer l’a placé là bien en vue, en bas du podium. Vigoureux applaudissements, et puis le musicien à la clochette s’en va. On ne le reverra plus de tout le concert !


Après ces trois amuse-bouche d’une perfection éminemment gastronomique, on passe à un registre beaucoup plus sérieux avec l’entrée en scène d’une très grande dame du piano. Elisabeth Leonskaïa, 74 ans, pur produit d’une école russe qui ne laisse aucun détail au hasard, complice aussi de longue date du regretté Sviatoslav Richter, ce qui en dit long sur un certain perfectionnisme. Une étoile qui reste, pour la petite histoire, l’un des plus mémorables «ratés» du concours Long-Thibaud, avec seulement un troisième prix remporté en 1965. Aujourd’hui Leonskaïa habite Vienne et sa carrière, désormais plus ponctuelle, se recentre nettement sur la charnière entre classicisme et romantisme : Mozart, Beethoven, Schubert... Longue robe noire, allure discrète et bienveillante, avec toujours dans la posture quelque chose d’attentif voire d’une chaleur douillettement maternelle, Leonskaïa ne cherche absolument rien à prouver dans le Concerto «Empereur» de Beethoven. Même les dangereux premiers traits, d’ailleurs pas absolument parfaits sur le plan digital, ne sont qu’une entrée en matière à l’échelle humaine, en rien les colonnes vertigineuses d’un grand portique. Mais à long terme cette simplicité voire cette transparence se révèlent des atouts merveilleux : un Beethoven modeste, chantant, lumineux, réussite de soliste mais surtout d’ensemble, en duo avec un Iván Fischer attentif comme un partenaire de musique de chambre. La transparence obtenue des cordes, la délicatesse des nuances, la finesse des dialogues entre piano et petite harmonie, tout cela relève d’un miracle où on n’écoute plus du tout ce concerto comme un moment d’affrontement martial mais comme une sereine démonstration d’écoute mutuelle. Cimes atteintes évidemment dans l’Adagio, méditation d’une indicible subtilité. Raffinement prolongé en bis par un ineffable Adagio de la Sonate K. 332 de Mozart, aux broderies ornementales dépourvues d’affectation.


Atavisme Mitteleuropa à nouveau très fort en seconde partie, avec une Huitième Symphonie de Dvorák, certes dans l’absolu d’un auteur tchèque interprété par un orchestre hongrois, mais où les affinités de style s’affirment néanmoins de façon patente. Et là vraiment, tout y est : mélange subtil de tournures savantes et d’exaltation campagnarde, décontraction apparente de la direction d’Iván Fisher mais toujours pour mieux relancer les musiciens à tous les moments stratégiques d’une lecture vivement contrastée, perfection instrumentale aussi (par rapport à l’enregistrement Philips par les mêmes, il y a vingt ans déjà, les progrès accomplis paraissent considérables). Effectif assez lourd et pourtant tout brille, respire, voire se pare de détails sonores inédits, y compris une brève et totalement surprenante coloration des cordes sur l’un des accords tenus du finale (comme si les musiciens chantaient en plus de jouer : peut-être d’ailleurs était-ce effectivement le cas...). Délicieux Allegretto, qui ose quelques savoureux portamenti de cordes subtilement dosés, et incessantes recharges d’énergie dans un Allegro final à la pulsation dionysiaque communicative. Superbe et ludique soirée, sans aucun bis pour prendre congé, mais le programme était très généreux.



Laurent Barthel

 

 

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