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Bis repetita: Fortunio dix ans après

Paris
Opéra Comique
12/12/2019 -  et 14, 16, 18*, 20, 22 décembre 2019
André Messager : Fortunio
Cyrille Dubois (Fortunio), Anne-Catherine Gillet (Jacqueline), Franck Leguérinel (Maître André), Jean-Sébastien Bou (Clavaroche), Philippe-Nicolas Martin (Landry), Pierre Derhet (Lieutenant d’Azincourt), Thomas Dear (Lieutenant de Verbois), Aliénor Feix (Madelon), Luc Bertin-Hugault (Maître Subtil), Geoffroy Buffière (Guillaume), Sarah Jouffroy (Gertrude), Malcolm Namgyal, Suzanne Laurens/Madeleine Dumas-Primbault*, Solal Dages-des-Houx* (enfants), Laurent Podalydès (comédien)
Chœur de chambre les éléments, Orchestre des Champs-Elysées, Louis Langrée (direction)
Denis Podalydès (mise en scène), Eric Ruf (décors), Christian Lacroix (costumes), Stéphanie Daniel (lumières)


F. Leguérinel, C. Dubois, A.-C. Gillet, J.-S. Bou (© Stefan Brion)


Messager, créateur de Pelléas et Mélisande, compositeur de Véronique? Oui, mais il créa aussi Louise de Charpentier, composa des ballets comme Les Deux Pigeons, des opéras comme Madame Chrysanthème – qui devint chez Puccini Madame Butterfly... Directeur de l’Opéra-Comique, il y donna son Fortunio cinq ans après Pelléas. Cette comédie lyrique suffirait à lui assurer une place au panthéon de la musique française de l’époque, pour la subtilité de ses coloris instrumentaux et de ses harmonies. Et si les deux derniers actes se souviennent de ceux de Werther, le troisième surtout, avec l’ombre de « Pourquoi me réveiller » traversant « Si vous croyez que je vais dire », si la nouveauté de Pelléas ne lui est pas étrangère, Messager s’exprime en un langage qui lui est propre.


Dix ans après, on prend les mêmes et on recommence? Oui et non. Certes Louis Langrée revient, pour notre plus grand bonheur cette fois, parfaitement maître de l’acoustique d’une salle à la fosse modifiée, dirigeant un Orchestre des Champs-Elysées meilleur que les musiciens de celui de Paris – sonorités plus rondes et plus fondues, parfait équilibre entre les pupitres. La direction s’attache à la fois à la tension du drame et aux couleurs de l’orchestre, aussi théâtrale que raffinée, légère ou tragique, avec une intensité jamais alanguie dans le lyrisme des scènes entre Jacqueline et Fortunio. Que l’Opéra n’ait pas invité Louis Langrée depuis les années 1990 relève du scandale.


On retrouve aussi la production tout en finesse de Denis Podalydès. Revu et adapté par Flers et Caillavet, surtout connus pour L’Habit vert, ce Fortunio, moins cynique et plus romantique, n’est plus tout à fait Le Chandelier de Musset – chez celui-ci, le héros, à la fin, lançait à son rival un insolent « Chantez donc, monsieur Clavaroche ». Le metteur en scène sait qu’il ne faut ici rien appuyer, ni le rire ni les larmes. Les ingrédients du vaudeville sont là, avec l’amant caché dans le placard, sans virer pas à la farce. Ceux du drame aussi, mais ils gardent leur ambiguïté douce-amère. La production renouvelle l’image de Fortunio, qu’elle rapproche de Werther, moins puceau coincé que romantique névrosé, suicidaire presque, en quête d’absolu. Direction d’acteurs à l’unisson, au plus près du texte et des personnages, qui évoluent dans le décor au réalisme stylisé, d’une mélancolie hivernale d’Eric Ruf.


Parfaits comédiens, les chanteurs jouent remarquablement le jeu. Mais là, on n’a pas toujours pris les mêmes. Ne se retrouve que le superbe Clavaroche de Jean-Sébastien Bou, plus en voix que jamais, à la morgue stylée, rival d’un Cyrille Dubois quasi idéal par la beauté du timbre et le galbe du phrasé, Fortunio perdu au milieu de ses rêves, qui atteint seulement ses limites dans les tensions très werthériennes des deux derniers actes. On comprend qu’il s’éprenne de la Jacqueline craquante d’Anne-Catherine Gillet, à la légèreté fruitée mais dont le médium se projette parfaitement, modèle de déclamation à la française, épouse aussi ambiguë que volage, qui a parfois des airs de Mélisande bourgeoise. Autour d’eux, chacun est exemplaire: impayable cocu magnifique de Franck Leguérinel, remarquable Landry de Philippe-Nicolas Martin, Maître Subtil de grand format de Luc Bertin-Hugault... On se réjouit enfin de réentendre le Chœur les éléments. Une fois de plus, l’Opéra-Comique donne une leçon de chant français.



Didier van Moere

 

 

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