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Bartoli se met en scène Baden-Baden Festspielhaus 11/23/2019 - et 15 décembre 2019 (Paris) Airs et pièces orchestrales de Porpora, Giacomelli, Hasse, Leo, Vinci, Caldara, Haendel, Fasch et Quantz Cecilia Bartoli (mezzo-soprano)
Les Musiciens du Prince - Monaco, Gianluca Capuano (direction) C. Bartoli, G. Capuano (© Michael Gregonowits)
Importante offensive de Cecilia Bartoli en cette fin d’automne, avec la parution chez Decca d’un nouveau récital intitulé «Farinelli» et simultanément une longue tournée de concerts sous le titre «Farinelli et son temps», qui connaît, ici à Baden-Baden, sa toute première soirée. Les programmes des deux produits ne se recoupent toutefois pas entièrement, avec une plus grande variété de compositeurs au concert (Haendel, Vinci et Leo sont absents du disque), et puis aussi, qu’on se rassure, la diva romaine n’est barbue que sur la pochette de son album, un perturbant look façon Conchita Wurst première manière auquel elle a prudemment renoncé en public.
Cela dit, Bartoli persiste à aimer s’amuser avec son apparence. Sur le vaste plateau du Festspielhaus, auquel on a rajouté un peu de décorum avec en toile de fond une photographie grand format de la salle du Théâtre San Carlo de Naples, on verra la star de la soirée paraître d’abord bottée de cuir, dans un appareil très masculin, avant de se métamorphoser en Cléopâtre escortée d’éventails en plumes, puis adopter encore d’autres looks inénarrables, dont une extravagante tenue de castrat doré empanaché de rouge... le tout à vue, grâce à une petite loge aménagée sur le coin droit de la scène et à la collaboration de deux accessoiristes/caméristes en costumes d’époque. Un carnaval qui peut sembler parfois un peu benêt, surtout quand la diva promène d’un air émerveillé de petits oiseaux empaillés au bout d’une canne à pêche, pendant un air où il est évidemment question de ces charmants volatiles gazouillants, ou encore exécute à côté du chef un robuste Fandango sur un air de ballet d’Ariodante. Mais cette implication de tous les instants permet de garder la vedette continuellement en vue, en évitant de sempiternelles allées et venues entre plateau et coulisses. Même quand elle ne chante pas, Bartoli continue à assister aux intermèdes, ce qui en relève l’intérêt, au moins pour la frange du public qui n’a d’yeux que pour elle, et puis aussi les applaudissements s’en trouvent réduits au strict minimum, les musiciens s’arrangeant pour souder les pièces les unes aux autres grâces à quelques discrètes transitions au continuo, suffisantes pour dissuader d’éventuelles manifestations d’approbation bruyante. Le récital s’en trouve bien unifié en deux blocs, avec un entracte au milieu, périodes au demeurant généreuses en minutage et au cours desquelles on peut vraiment s’installer dans une ambiance baroque, certes de fantaisie mais plutôt séduisante et poétique.
Pour en revenir au disque, reconnaissons qu’il nous présente la voix de la diva sous un jour plus flatteur, fortement grossie par rapport à l’accompagnement, avec des effets de loupe sur tous les détails. Dans une grande salle, il faut s’habituer à un équilibre tout autre: la projection reste relativement réduite, et plus encore quand l’égalité de la vocalisation doit prendre le dessus. Tout paraît estompé, la présence en principe percutante de l’artiste paraissant comme contenue par une sorte d’effet de sfumato artistement dosé. Peut-être un affaiblissement bien réel des moyens maintenant, mais avec en guise de compensation l’atténuation d’un caractère relativement nasal du placement de la voix qui antérieurement pouvait gêner. C’est là aussi que le choix d’un accompagnement orchestral plus discret joue un rôle stratégique : Les Musiciens du Prince émoussent leurs sonorités et leurs attaques à la recherche d’effets de clair-obscur où évidemment les principaux rais de lumière stratégiques du tableau sont réservés à la seule diva. Un effacement louable, mais qui pourrait être assumé avec davantage de maîtrise technique, la précision des cordes semblant parfois assez nébuleuse (rappelons qu’il s’agit d’une formation encore jeune, réunie depuis quelques saisons seulement). Quant à la créativité débridée du percussionniste, qui use et abuse de tambours, appeaux, grelots, machine à vent, feuillages bruissants agités en cadence... elle finit par agacer, même, si répétons-le, tout cela reste en permanence très joli. De même pour les performances d’un flûtiste et d’un trompettiste aux accents sympathiquement débraillés, dans des Concertos de Quantz et de Fasch où le caractère rétif et peu fiable des instruments utilisés n’excuse quand même pas tout. La prestation orchestrale du disque, confiée aux plus aguerris Il Giardino Armonico, paraît beaucoup plus stable et convaincante en comparaison.
Reste, on le répète, à se laisser charmer par toutes ces musiques aux ambitions parfois limitées, prétextes à des assauts de virtuosité étourdissants, à des suspensions d’élégie intensément fabriquées mais tellement belles, et à tout cet univers de l’opéra baroque aux métaphores si gentiment attendues et convenues (les petits oiseaux, les flots déchaînés, le cerf acculé par les chasseurs...). On apprécie aussi l’auto-dérision dont Bartoli parvient à faire preuve à certains moments, avec une appréciable créativité comique quand le feu d’artifice vocal tourne carrément au délire surréaliste. De vrais plaisirs de gourmet, mais qui tout à coup font figure d’amuse-gueule quand un véritable génie prend enfin la parole : un Haendel souverain, dont l’air «What passion cannot Music raise and quell» extrait de l’Ode à sainte Cécile remet tardivement mais sans discussion possible les pendules à l’heure.
Laurent Barthel
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