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Revoir Lear de Reimann

Paris
Palais Garnier
11/21/2019 -  et 24, 27, 30* novembre, 4, 7 décembre 2019
Aribert Reimann : Lear
Bo Skovhus (König Lear), Gidon Saks (König von Frankreich), Derek Welton (Herzog von Albany), Michael Colvin (Herzog von Cornwall), Kor-Jan Dusseljee (Graf von Kent), Lauri Vasar (Graf von Gloster), Andrew Watts (Edgar), Andreas Conrad (Edmund), Evelyn Herlitzius (Goneril), Erika Sunnegårdh (Regan), Annette Dasch (Cordelia), Ernst Alisch (Narr), Luca Sannai (Bedienter), Lucas Prisor (Ritter)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Alessandro Di Stefano (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Fabio Luisi (direction musicale)
Calixto Bieito (mise en scène), Rebecca Ringst (décors), Ingo Krügler (costumes), Franck Evin (lumières), Bettina Auer (dramaturgie), Sarah Derendinger (vidéo)


E. Sunnegårdh, B. Skovhus (© Bernd Uhlig/Opéra national de Paris)


Retour à Garnier de cette production de 2016, première française en langue originale du Lear d’Aribert Reimann, composé pour Dietrich Fischer-Dieskau – avant même la commande de l’Opéra de Munich, il incitait le compositeur à mettre en musique la tragédie de Shakespeare. Reimann, ainsi, réalisait un rêve que Berlioz et Verdi, pas moins fascinés par le roi fou, n’avaient que caressé. Quarante ans après la création, l’œuvre n’a rien perdu de son impact, avec son post-expressionnisme sériel, la violence de ses cataclysmes sonores, où les percussions sont prises de folie, la tendresse suggestive de ses déplorations aussi, en particulier dans la dernière scène, où vous étreint le chant des violoncelles et altos.


Comme tant de ses pairs, Reimann a retenu la leçon de Wozzeck et n’ignore pas Les Soldats de Zimmermann – mais la partie vocale de Goneril semble se souvenir de celle de l’Elektra straussienne. Les voix ne sont pas ménagées, poussées souvent aux limites de leur tessiture: aigus meurtriers des trois sœurs, d’Edmund aussi, Edgar chantant en voix de poitrine ou en voix de tête. Elles doivent également osciller entre chant opératique traditionnel, déclamation, Sprechgesang... Lear, évidemment, résume tout ce que savait faire son créateur, que Reimann connaissait très bien, notamment pour l’avoir souvent accompagné au piano.


On a repris la plupart des chanteurs de 2016, à commencer par Bo Skovhus, hallucinant de présence scénique et de tenue vocale, qui ne cherche jamais à faire du Fischer-Dieskau. Annette Dasch a toujours les demi-teintes de Cordelia, mais le timbre induré n’est plus celui de la tendre jeune fille, alors que la méchante Regan d’Erika Sunnegårdh fatigue un peu à partir de la seconde partie, où le grave faiblit. C’est la nouvelle venue, Evelyn Herlitzius, qui impressionne le plus en Goneril sadiquement hystérique: pour cette mémorable Elektra, un rôle sur mesure, dont elle domine les redoutables écueils sans dessouder ses registres - que les années aient durci le timbre compte finalement peu ici. On retrouve aussi la noblesse du Gloucester de Lauri Vasar, l’Edmund ambitieux aux aigus crânes d’Andreas Conrad, l’incroyable composition, surtout, d’Andrew Watts en Edgar devenu Tom, également à l’aise en contre-ténor ou en ténor – un tour de force.


Il fallait évidemment donner Lear à Bastille, dont la fosse eût accueilli le gigantesque orchestre de Reimann, quitte à donner moins de représentations si l’on craignait de ne pas remplir. A Garnier, le placement des percussions dans les loges latérales laisse parfois une impression d’éclatement. Heureusement, Fabio Luisi est toujours là, éruptif ou lyrique, totalement maître des complexités de la partition.


Une Carmen trash mais convaincante, un Simon Boccanegra pitoyable: Calixto Bieito, c’est selon. Il a en tout cas réussi Lear, pénétrant au plus profond de la cruauté, de la folie, de l’abjection de l’univers de Lear. Sans donner succomber à la surenchère, comme il le fait parfois, au plus près du livret de Claus H. Henneberg, avec une sorte de classicisme: l’énucléation de Gloucester reste heureusement sobre. Direction d’acteurs très juste, dans un beau décor sombre de planches mobiles, palais ou forêt – magnifique errance à travers les arbres. Des scènes marquent, telle, à la fin, celle ou Lear porte le cadavre de Cordelia: une pieta. Reste à savoir, maintenant, ce que sera le Ring de l’Espagnol.



Didier van Moere

 

 

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