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Excentricités anglaises à la Cité de la musique Paris Cité de la musique 11/27/2019 - Benedict Mason: drawing tunes and fuguing photos
Rebecca Saunders: Scar
James Dillon: Tanz/haus: triptych 2017 Ensemble intercontemporain, George Jackson (direction)
G. Jackson (© Tim Dunk)
«Demeure et tremblements»: ceci n’est ni un film inédit de Bergman ni le nouveau roman d’Amélie Nothomb, mais la thématique par laquelle les programmateurs nous proposent «un florilège de la scène britannique actuelle» avec, en prime, deux créations françaises.
A l’issue de drawing tunes and fuguing photos, le sourire est sur toutes les lèvres – phénomène suffisamment rare dans le domaine de la musique contemporaine pour être souligné. Une parfaite entrée en matière, telle une ouverture de Rossini du XXIe siècle. Au reste cette pièce de 2012 en partage l’humour, le cantabile, le primesaut et l’élégance. «Le titre se réfère à la saisie d’une mélodie qui se déplacerait le long de différentes lignes», précise Benedict Mason (né en 1954) qui cisèle un univers à la fois fourmillant et contenu, constitué de monceaux mélodiques, de fragments de gammes et de syncopes claudicantes. L’impression générale est de suivre une seule et même ligne qui traverserait différents paysages sonores en passant d’un instrument à l’autre avant de se figer, inopinément, sur tel unisson. On pense bien sûr aux mécaniques folles de Ligeti, lequel appréciait beaucoup l’art de son collègue britannique. L’orchestration enchante par sa finesse (doublures et registrations inventives), à telle enseigne qu’on ne parvient plus à identifier, à l’aveugle, quel instrument joue.
Le monde de Rebecca Saunders (née en 1967) est autrement plus sombre, traversé de soubresauts, de gestes abrupts et d’harmoniques impures (sons filtrés à la guitare électrique et aux percussions, soufflets de l’accordéon). A l’instar de la Première Symphonie de chambre (1906) d’Arnold Schoenberg, Scar (2019) est écrit pour «quinze solistes». «Le silence est la toile blanche sur laquelle le poids des sons laisse sa marque» (Saunders) selon une progression caractéristique qui oppose, à l’interrogation sourde du halo séminal, l’agitation et les ruptures d’un discours morcelé, essentiellement régi par des phénomènes de glissandos et de crescendos. A l’extrême raffinement des textures répond une forme en arche asymétrique: ce qui pouvait apparaître comme une réexposition amorce en réalité un postlude lunaire, tout en délicatesse, qu’il appartient à l’accordéon de refermer sur un agrégat tenu.
Figure de proue de du courant dit de la Nouvelle Complexité aux côtés de Brian Ferneyhough (né en 1943), l’écossais James Dillon (né en 1950) ne craint pas les cycles au long cours. De fait, il faut du souffle pour venir à bout de Tanz/haus: triptych 2017, une œuvre pour ensemble de chambre de 45 minutes qui lui a valu le prestigieux RPS Award. L’une des voix de «la couche de matériel préenregistrée» n’est autre que celle de Heidegger – un extrait d’une conférence donnée en 1952 sur les dangers de la technologie. Elle inaugure un voyage que sous-tendent «d’une part, l’idée d’"automates" et sa relation au mouvement, et d’autre part, une idée très particulière du mouvement, ce que l’historien d’art Henri Focillon appelle la "fragilité hésitante", une idée à la fois physique et conceptuelle du tremblement, du tremor, du vibrato» (Dillon). De là une musique à la fois brillante dans son écriture mais aussi très humaine dans sa fragilité, prenant ici la forme de plusieurs couches de soliloques superposées, là de stase psychédélique (guitare électrique exploitée dans toutes ses possibilités), ailleurs de contrastes marqués entre les sonorités chétives du piccolo et le gras de la contrebasse. Dillon travaille sur toute l’étendue du spectre, obtient une grande variété de timbres (malgré un effectif relativement modeste) grâce au dispositif électronique et à l’usage de notes pédales agissant comme des «bourdons».
Les musiciens de l’EIC, comme l’excellent George Jackson – qui, sauf erreur, faisait ses débuts à leur tête – ont semblé très à l’aise dans ces jardins anglais aux esthétiques somme toute dissemblables.
Jérémie Bigorie
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