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Bien alignées Toulouse Halle aux grains 11/08/2019 - Henri Dutilleux: Tout un monde lointain
Gustav Holst: The Planets, opus 32, H. 125 Victor Julien-Laferrière (violoncelle)
Orfeón Donostiarra, José Antonio Sainz Alfaro (chef de chœur), Orchestre national du Capitole de Toulouse, Tugan Sokhiev (direction)
T. Sokhiev (© Marco Borggreve)
Même si Tugan Sokhiev a récemment fait des débuts remarqués à la tête de l’Orchestre de Paris, il reste jusqu’à la fin de cette saison le directeur musical apprécié de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse, dont il a fait l’un des meilleurs ensembles symphoniques français. Au programme ce soir le concerto pour violoncelle Tout un monde lointain, chef-d’œuvre de Dutilleux commandé et créé en 1970 par Mstislav Rostropovitch au Festival d’Aix-en-Provence, et Les Planètes de Holst, composées durant la Première Guerre mondiale et créées par Sir Adrian Boult en 1918. Deux œuvres sans lien évident mais qui ont néanmoins attiré un public nombreux et comme toujours attentif.
Le jeune Victor Julien-Laferrière a étudié avec Roland Pidoux et Heinrich Schiff et a vu sa carrière se développer surtout depuis son premier prix au Concours Reine Elisabeth de Belgique de 2017. Cette première collaboration à Toulouse ne sera certainement pas la dernière tellement l’osmose avec Tugan Sokhiev et l’Orchestre du Capitole est apparue d’emblée aboutie. Les cinq parties enchaînées du concerto contrastent par leurs climats. L’«Enigme» débute par d’étonnants roulements de la caisse claire semblant sortir comme du silence. «Regard» et sa mélopée descendante du violoncelle est ici magistralement conduit. Toutefois, l’œuvre culmine dans «Houles», un temps nommé «Voyage» par le compositeur, durant laquelle le violoncelle élégant de Victor Julien-Laferrière dialogue avec une riche percussion puis l’ensemble de l’orchestre. L’apaisement de «Miroirs», fascinant dialogue avec la harpe, le célesta et les marimbas, dégage une vraie poésie. «Hymne», tout de contrastes et de rythmes, permet au soliste de montrer une autre facette plus rythmique et sonore de son talent avant l’évanescence finale. Durant toute cette interprétation sobre et précise, l’intonation de Victor Julien-Laferrière est constamment parfaite comme l’est l’adéquation du son proposé au climat orchestral. En bis, il offre un Bach extrait des Suites pour violoncelle seul, sobre et lumineux.
Changement complet d’atmosphère avec ces Planètes qui ont tant inspiré les compositeurs de musique de film comme John Williams. Le «Mars, celui qui apporte la guerre» initial est martial à souhait, précis, d’une rythmicité pesante parfaite. «Vénus, celle qui apporte la paix» permet d’entendre de magnifiques solistes, le cor de Jacques Deleplancque, le hautbois charmeur de Louis Séguin, le violon solo de Kristi Gjezi et le violoncelle solo de Sarah Iancu, puis l’harmonie et le célesta. «Mercure, le messager ailé» champêtre et aux airs du Berlioz du «Menuet des follets» permet de mettre en valeur la magnifique harmonie comme la capacité de jouer ensemble de l’orchestre. «Jupiter, celui qui apporte la gaîté», sans doute avec «Mars» la pièce la plus célèbre de cette œuvre, met elle en valeur au sein d’un magnifique pupitre de cuivres la trompette de René-Gilles Rousselot et le legato du pupitre de violoncelles. «Saturne, celui qui apporte la vieillesse», étonnante pièce construite en miroir, la préférée du compositeur, permet à Tugan Sokhiev de montrer toute la palette expressive en termes de nuances et de conduite de la ligne de son orchestre. Changement de climat pour «Uranus, le magicien», non loin de Dukas et interprété ici avec le mélange de force, de précision et de rigueur qu’il requiert. Enfin, l’étonnant «Neptune, le mystique», sans aucune doute la pièce la plus novatrice et qui fait intervenir à la toute fin un chœur de femmes: avant cette intervention, l’orchestration très inventive et cinématographique de Holst surprend toujours et les vingt-deux femmes de l’Orfeón Donostiarra, joliment alignées au balcon au-dessus de l’orchestre et à la tenue comme toujours impeccable, participent au mystère de cette fin.
Encore un magnifique concert qui témoigne de l’entente persistante entre Tugan Sokhiev et son orchestre. Il n’empêche: il va falloir maintenant trouver un successeur au chef ossète tout en inventant la suite de sa relation avec cet ensemble qu’il a porté à un niveau international.
Gilles Lesur
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