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Les vertus de la simplicité Liège Opéra royal de Wallonie 10/18/2019 - et 20*, 22, 24, 26 (Liège), 31 (Charleroi) octobre 2019 Christoph Willibald Gluck: Orphée et Eurydice (version Berlioz) Varduhi Abrahamyan (Orphée), Mélissa Petit (Eurydice), Julie Gebhart (Amour)
Chœurs de l’Opéra royal de Wallonie, Pierre Iodice (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra royal de Wallonie, Guy Van Waas (direction)
Aurélien Bory (mise en scène), Pierre Dequivre (décors), Manuela Agnesini (costumes), Arno Veyrat (lumières)
(© Opéra royal de Wallonie-Liège)
Au tour de l’Opéra royal de Wallonie de monter cette production d’Orphée et Eurydice créée il y a un an à Paris et reprise en juin à Lausanne. Le répertoire y manque de diversité, mais cette maison d’opéra programme de temps en temps des œuvres rares ou absentes de ses affiches depuis longtemps, comme celle de Gluck, la dernière représentation remontant à 1983. Il s’agit de la version de 1859, remaniée par Berlioz, mort il y a cent cinquante ans, en quatre actes et d’une durée de seulement une heure et demie. Le public, qui a la fâcheuse manie d’applaudir l’interprète d’Orphée alors que l’orchestre joue encore, doit donc se passer d’entracte.
Sans revêtir la puissance d’impact et le caractère inédit de la proposition de Romeo Castellucci à la Monnaie en 2014, la mise en scène, plus suggestive que symbolique, d’Aurélien Bory opte pour le dépouillement et l’abstraction, ce qui change de ces décors lourds et réalistes habituellement présents sur ce plateau. L’économie des moyens convient à cet opéra concis, mais cela n’exclut pas la sophistication : le dispositif consiste pour l’essentiel en un miroir placé de différentes façons et des voiles, dont une reproduisant Orphée ramenant Eurydice des enfers de Corot, manipulés par des figurants. Dans cette scénographie limpide et cohérente, le metteur en scène, avec l’appui des lumières d’Arno Veyrat, réserve de splendides images, mais la prédominance du noir peut gêner, un choix, toutefois, pertinent et parfaitement assumé. Isolément, les idées ne présentent guère d’originalité, mais leur intégration fonctionne et la réalisation ne souffre d’aucun reproche : la direction d’acteur est subtile, la mise en place précise.
Pourquoi, dès lors, ce sentiment d’ennui et de frustration ? Certes, Orphée et Eurydice n’a pas le souffle d’Iphigénie en Tauride, mais la direction musicale de Guy Van Waas, malgré ses mérites, repose sur une conception interprétative trop floue. Cette production opte, en effet, pour une version conçue au milieu du dix-neuvième siècle, mais l’Orchestre de l’Opéra royal de Wallonie joue, probablement avec ses instruments habituels, à la manière du dix-huitième, avec un vibrato parcimonieux. Il aurait été opportun d’inviter exceptionnellement Les Agrémens, dont Van Waas est le chef titulaire, ou de garder les musiciens de l’orchestre et dès alors opter pour un ton plus romantique. A défaut d’imprimer plus d’impulsion et d’accuser davantage les contrastes, les musiciens produisent de belles sonorités, en particulier les bois ; la flûte récolte de chaleureux applaudissements lors des saluts.
Les Parisiens entendirent l’excellente Marianne Crebassa en Orphée, mais les Liégeois doivent s’accommoder de l’accent de Varduhi Abrahamyan. De toute évidence taillée pour des emplois plus virtuoses, comme ceux de Rossini, cette mezzo-soprano au médium charnu et aux graves profonds arbore un timbre de qualité et cultive une ligne de chant raffinée, tandis que l’intensité de l’incarnation et la sincérité de l’engagement ne laissent aucun doute. L’art de la prosodie lui fait toutefois quelque peu défaut, malgré une prononciation soignée. En revanche, l’Eurydice de Mélissa Petit se révèle idéale, par la pureté de la voix et la précision de la diction, la chanteuse apportant délicatesse et fraicheur à son rôle. Notons aussi la prestation encourageante de Julie Gebhart en Amour et la performance des choristes, souvent confinés dans un rôle décoratif dans les autres productions. Même si la prestation vocale tombe un peu à plat dans la conclusion, la troupe répond aux exigences de la mise en scène avec conviction.
Sébastien Foucart
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