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סלומה München Nationaltheater 10/05/2019 - et 27 juin, 2, 5, 10 juillet, 9, 13* octobre 2019 Richard Strauss: Salome, opus 54 Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Herodes), Michaela Schuster/Doris Soffel* (Herodias), Marlis Petersen (Salomé), Wolfgang Koch (Jochanaan), Pavol Breslik/Evan LeRoy Johnson* (Narraboth), Rachael Wilson (Un page), Scott MacAllister, Roman Payer, Kristofer Lundin, Paul Kaufmann, Peter Lobert (Juifs), Callum Thorpe, Ulrich Ress (Nazaréens), Kristof Klorek/Martin Snell*, Milan Siljanov (Soldats), Milan Siljanov (Un Cappadocien), Mirjam Mesak (Une esclave), Jutta Bater (Femme du Cappadocien), Peter Jolesch (La Mort, rôle dansé)
Bayerisches Staatsorchester, Kirill Petrenko (direction musicale)
Krzysztof Warlikowski (mise en scène), Marielle Kahn (assistante personnelle à la mise en scène de Krzysztof Warlikowski), Malgorzata Szczesniak (décors et costumes), Felice Ross (lumières), Kamil Polak (vidéo), Claude Bardouil (chorégraphie), Miron Habeneck, Malte Krasting (dramaturgie)
(© Wilfried Hösl)
L’époque des Salomé à l’orientalisme un peu tapageur est bien derrière nous. Nous avons connu ces dernières années des relectures fascinantes et très convaincantes, dont en particulier celles de Philippe Jordan-David McVicar à Londres, ou plus récemment de Franz Welser-Möst-Romeo Castellucci à Salzbourg, qui avait également proposé une production remarquable en 1992 par le tandem Luc Bondy-Christoph von Dohnányi.
Il ne fallait pas attendre moins de la production munichoise de l’équipe Kirill Petrenko-Krzysztof Warlikowski, qui nous avait déjà donné une Femme sans ombre d’exception ces dernières années. Le metteur en scène polonais replace l’œuvre dans son pays à l’époque de la Shoah, les protagonistes étant dans la bibliothèque de la Yeshiva de Lublin tandis que la vidéo qui accompagne la danse de Salomé est une évocation directe des peintures idylliques de la synagogue de Chodorow brûlée par les Nazis.
L’opéra commence par une pantomime interrompue par des coups menaçants à la porte. Comment ne pas immédiatement repenser au terrible attentat contre la synagogue de Halle en Allemagne, dont le terroriste n’a pas pu passer la porte qui a protégé les cinquante membres de communauté en train de célébrer Yom Kippour?
Warlikowski se permet quelques libertés par rapport au texte: Jochanaan y garde sa tête et l’opéra se finit par un suicide collectif de tous les personnages. Dans ce huis clos, il trouve une quantité de détails fascinants. Il faut voir la scène se diviser en deux parties pour faire apparaitre le Mikveh, le bain rituel, dont sort Jochanaan. C’est dans ce même cadre que la mort dansera plus loin avec Salomé. La confrontation entre Salomé et Jochanaan, c’est la recherche éternelle des Juifs de comprendre et partager le mystère les paroles des prophètes. L’Hérode avec kippa et talit est ici plus un chef de famille ou le leader de communauté qu’un roi corrompu et pervers. Il faut voir la manière dont Salomé, en adolescente capricieuse et inflexible, exige la tête de Jochanaan tout en se remettant du rouge à lèvres, affichant ainsi un mépris complet pour Hérode, les échanges avec un Narraboth qui lui cède peu à peu ou enfin comment elle choque les Juifs assemblés à table autour d’Hérode. C’est un travail de Personenregie que l’on a au théâtre parlé mais trop rarement sur une scène d’opéra.
Il fallait pour ce travail théâtral si intense et si intelligent une partie musicale à l’avenant. La distribution réunie de chanteurs-acteurs est à la hauteur du challenge. Marlis Petersen n’a pas la dimension wagnérienne que peuvent donner certaines cantatrices. C’est elle qui a chanté Lulu dans ce même théâtre. Mais ce qu’elle n’a pas en volume pur est compensé par sa capacité à caractériser son texte et à vivre son rôle avec tant de force. Wolfgang Koch, qui avait connu quelques problèmes vocaux ces dernières années, est à nouveau en grande forme. Son phrasé et son autorité sont éclatants. L’Hérode de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke est subtil et très caractérisé. Munich étant Munich, les rôles secondaires sont issus d’une troupe qui maîtrise le répertoire straussien comme nulle part ailleurs.
L’Orchestre de l’Opéra d’Etat de Bavière est dans un de ses meilleurs jours. Les musiciens savent que le nombre de représentations sous la direction de Kirill Petrenko est compté et le niveau est tout bonnement exceptionnel. Petrenko fait ressortir la modernité et l’originalité de la partition. La dynamique qu’il imprime à ses troupes est très large mais il sait en même temps alléger la pâte orchestrale, permettant de suivre les dialogues.
C’est en cela que Munich peut se vanter d’être actuellement le plus grand opéra d’Europe. Il y a un réel alignement entre la conception scénique, les chanteurs et l’orchestre qui est rare et très difficile à établir. Voici pourquoi en sortant, on ne pense pas aux individus, aux « stars » qui ont réalisé cette représentation, on ne pense qu’à Salomé, un chef-d’œuvre absolu que comme beaucoup on pensait connaître et que l’on redécouvre à nouveau sa force et son incroyable densité.
Antoine Lévy-Leboyer
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