Back
Retrouvailles au sommet München Herkulessaal 10/10/2019 - et 11 octobre 2019 Richard Strauss : Intermezzo, opus 72: Quatre interludes symphoniques – Das Rosenband, opus 36 n° 1 – Ständchen, opus 17 n° 2 – Freundliche Vision, opus 48 n° 1 – Wiegenlied, opus 41 n° 1 – Allerseelen, opus 10 n° 8 – Morgen, opus 27 n° 4
Johannes Brahms : Symphonie n° 4 en mi mineur, opus 98 Sarah Wegener (soprano)
Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Mariss Jansons (direction)
(© L. Barthel)
Tout au long de l’été 2019, l’état de santé de Mariss Jansons est resté un sujet d’inquiétude, depuis un accès de faiblesse survenu début juin à l’issue d’un concert à Vienne. Quelques semaines plus tard tombait en effet la nouvelle d’un congé de maladie très prolongé, et plus aucun communiqué depuis... Cela dit, le chef d’orchestre letton restait annoncé sans démenti pour ce concert de rentrée à Munich, et on a eu le vrai bonheur de l’y voir arriver en bonne forme : visage aux traits davantage tirés que naguère mais démarche relativement assurée, gestes précis et amples, station debout sans fatigue apparente en dépit de la longueur la soirée... On espère vivement que l’embellie sera durable, ce d’autant plus que l’agenda de l’Orchestre de la Radio bavaroise et de son chef s’annonce d’emblée chargé, avec dès la fin de ce mois une tournée de huit concerts à travers l’Europe et qui se prolongera même par encore deux soirées au Carnegie Hall de New York.
Pour l’instant, c’est dans le cadre agréable et presque intime de la Herkulessaal munichoise que les retrouvailles ont lieu. On sent l’orchestre heureux de retrouver son « patron » à la barre, avec une décontraction souriante qui n’exclut nullement que tout le monde soit présent et précis dès les toutes premières mesures des Quatre Interludes symphoniques d’Intermezzo de Richard Strauss. On connaît assez peu, même en Allemagne, ce délicieux petit opéra où Strauss raconte avec humour une péripétie réellement survenue dans sa propre vie conjugale : une merveille de conversation musicale, toute en légèreté, mais où Strauss ne renonce pas à mettre en valeur son orchestre, pendant des interludes de toute beauté, en particulier Träumerei am Kamin (titre qu’on peut traduire en quelque sorte par « Rêverie au coin du feu »), d’une inspiration mélodique qui égale celle des plus belles pages de La Femme sans ombre. Ici Mariss Jansons et son orchestre atteignent immédiatement des sommets : sonorités pleines, mélodie enveloppante voire suave, les gestes apaisés du chef faisant merveille, avec toujours cette façon noble et posée d’obtenir les attaques des cordes en baissant les mains, paumes ouvertes vers le haut, comme un geste d’offrande.
Il était prévu ensuite que six Lieder de Strauss soient chantés par Diana Damrau, grande spécialiste de ce répertoire. Or suite à une indisposition, c’est finalement la soprano germano-britannique Sarah Wegener que l’on a vu arriver : carrure de chanteuse plutôt dramatique, drapée dans une gentille robe à fleurs, et appréhension voire trac évidents. Avant l’attaque de l’orchestre, on sent déjà l’interprète pressée d’en découdre, préparant fébrilement colonne d’air, résonateurs et mimique en prévision d’une sorte de plongeon éperdu dans la musique. Mais, ô merveille, et là c’est une vraie découverte parce qu’on ne connaissait pas du tout, on l’avoue, cette interprète à la carrière relativement discrète, non seulement le plongeon est impeccable mais la nageuse se révèle d’une grâce souveraine. On découvre un soprano straussien idéal, avec cette façon particulière de conférer au timbre une luminosité douce en entretenant une perpétuelle mobilité de l’émission. On pense immédiatement à la voix de Felicity Lott dans ce même répertoire, et donc, par définition, on en fond immédiatement de plaisir. Avec aussi cette précision et cette poésie de diction qui mettent en valeur le moindre recoin des textes qui ne sont pas toujours immortels (Mackay, von Gilm, von Schack...) mais dont les affects sont détaillés avec un charme évident. Dès le Das Rosenband initial, on ne se lasse pas d’admirer cette façon toute simple et fluide, absolument sans manières, de prononcer chaque syllabe allemande alors qu’en fait chaque voyelle et consonne ont fait l’objet d’un traitement minutieux qui ne laisse rien dans l’ombre. Mais le format est bien là, et quand c’est nécessaire la voix se tend, la musculature s’ouvre et l’aigu s’épanouit, dardé, solaire... Vraiment une merveilleuse soliste, à laquelle Mariss Jansons et son orchestre offrent un accompagnement d’une géniale subtilité, tout en nuances et moirures dans un Wiegenlied d’anthologie, et avec dans Morgen un violon solo d’une vraie distinction. En bis, le quasi inévitable Zueignung, brève dédicace envoyée vers par Sarah Wegener vers la salle avec une aisance dépourvue de toute affectation. Dommage qu’une telle artiste, peut-être en raison d’une personnalité que l’on pressent réservée voire timide, ne fasse pas une plus brillante carrière.
Exigeante Quatrième Symphonie de Brahms en seconde partie. Mais là, au vu des capacités physiques retrouvées de Mariss Jansons, on n’éprouve plus aucune appréhension quant à la vigueur du résultat, qui dépasse même largement nos attentes. Un Brahms au son nourri, travaillé en pleine pâte, qui permet d’apprécier les timbres exceptionnels d’un orchestre qui possède vraiment l’un des ensembles de cordes les plus opulents d’Europe (rien que les pizzicati, précis mais toujours pulpeux, gorgés de son, sont renversants). Mais rien de gras ou de complaisant non plus dans cette ampleur naturelle, que Mariss Jansons ne vient ouvertement stimuler que si besoin. Fins de phrase dont le chef parvient à prolonger l’élan en haussant bras et baguette dans un geste tout à coup autoritaire, contrebasses et violoncelles somptueux maintenus continuellement en tension du regard et du geste : un Brahms idéal qui concilie l’austérité architecturale vigoureuse des cathédrales de brique d’Allemagne du nord avec des passages d’une élégance plus viennoise, toujours ourlés d’une sourde mélancolie. On notera aussi la perfection des extinctions du son, ce qui donne au tableau, même traité en coups de pinceau puissants, une parfaite netteté de contours. Fabuleux solo flûte de Philippe Boucly dans la Chaconne finale, musicien français pourtant mais à la sonorité parfaitement adaptée aux circonstances, et cuivres d’une intensité dépourvue de tout clinquant. Tout Brahms est là, indiscutable, immense.
Laurent Barthel
|