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Revigorant Rustioni Lyon Opéra 10/05/2019 - et 7, 9, 11, 13, 15, 17 octobre 2019 Gioacchino Rossini : Guillaume Tell Nicola Alaimo (Guillaume Tell), Jane Archibald (Mathilde), John Osborn (Arnold), Jennifer Courcier (Jemmy), Enkelejda Shkoza (Hedwige), Patrick Bolleire (Walter Furst), Jean Teitgen (Gessler), Philippe Talbot (Ruodi), Tomislav Lavoie (Melchtal), Grégoire Mour (Rodolphe), Antoine Saint-Espes (Leuthold), Kwang Soun Kim (Un chasseur)
Chœurs de l’Opéra de Lyon, Johannes Knecht (chef de chœur), Orchestre de l’Opéra de Lyon, Daniele Rustioni (direction musicale)
Tobias Kratzer (mise en scène), Rainer Sellmaier (décors, costumes), Reinhard Traub (lumières), Demis Volpi (chorégraphie), Bettina Bartz (dramaturgie)
(© Bertrand Stofleth)
L’Opéra de Lyon frappe fort en ce début de saison avec un Guillaume Tell (1829) longuement applaudi par un public enthousiaste le soir de la première : ce n’est que justice, tant s’attaquer à ce monument relève d’une gageure quasi insurmontable, telle que l’imparfaite production présentée à Orange cet été avait pu nous le montrer. Outre le nombre considérable de rôles en présence, souvent dotés d’un unique air (Ruodi ou Hedwige), le livret inégal souffre de baisses de tension qui expliquent pourquoi des coupures lui sont souvent infligées, réduisant ainsi la durée théorique de l’ouvrage (quatre heures et demie environ). La production lyonnaise a souhaité garder la quasi-totalité de l’action, ne coupant qu’une partie des ballets, offrant ainsi un spectacle d’une durée de 4 heures avec entracte.
Dans ce contexte, tout le mérite de la soirée revient au metteur en scène allemand Tobias Kratzer (dont ce sont là les débuts en France après ses premiers pas réussis à Bayreuth cet été) qui cherche à enrichir la consistance du livret : en choisissant de transposer l’action dans une société futuriste et intemporelle, Kratzer donne une dimension symbolique aux événements, choisissant d’opposer l’ordre et la culture à la violence gratuite et irraisonnée d’oppresseurs revêtus des combinaisons des tortionnaires du film Orange mécanique. Cet hommage inattendu et audacieux au film de Kubrick entoure les événements d’une coloration plus sombre encore, le tout en une scénographie unique pendant toute la représentation, bénéficiant d’une direction d’acteurs toujours serrée. Pour autant, en nous donnant à voir la société rangée et figée de Guillaume Tell en début et en fin d’ouvrage, incarnée par le rituel immuable du repas familial, Kratzer ne cherche-t-il pas à représenter l’oppresseur comme une métaphore de la peur du changement ? On peut le penser, compte tenu de cette scénographie en noir et blanc qui ne laisse aucune place à la fantaisie, tout autant que ce pied de nez final où le jeune Jemmy revêt le chapeau de l’opposant, comme un signe de ralliement révolutionnaire à sa nécessaire affirmation d’individu libre et autonome. Si le travail de Tobias Kratzer apparaît en quelques endroits redondant (la violence perverse notamment) ou plus faible (la fin assez creuse de la première partie), il sait trouver des fulgurances brillantes – par exemple la référence décalée avec le folklore original dans la scène d’asservissement, ou le jeu de miroir troublant du double vocal de Jemmy, qui semble vouloir consoler l’enfant meurtri dans une scène poignante avant les retrouvailles avec ses parents.
L’incontestable réussite du spectacle vient aussi de la direction réjouissante de bout en bout de Daniele Rustioni, qui donne une verve sans pareille à la fosse à force d’attaques franches et d’accents bienvenus, poussant ce dernier Rossini davantage vers ses racines italiennes bouillonnantes que la clarté française d’adoption. Pour autant, son éclat ne cède jamais au tonitruant, apportant surtout par ses vifs tempi une modernité stimulante à de nombreux passages verticaux. Nicola Alaimo est un Guillaume Tell de grande classe, dont le timbre fatigué apporte à son personnage une noblesse souveraine – bien plus à l’aise qu’à Orange cet été en raison de l’acoustique plus favorable. Si l’aigu est rétréci, on se délecte des phrasés mordants, dignes de ce grand artiste, tandis que l’Arnold de John Osborn se distingue dans la perfection vocale pure, autour d’une prononciation inouïe de précision pour chaque syllabe – jusqu’aux moindres e muets. On aimerait toutefois davantage d’éclat, voire quelques aspérités, dans ce rôle dramatique au final trop policé. Jane Archibald (Mathilde) est plus décevante en comparaison avec un chant plus heurté, notamment dans les délicatesses de ses premières interventions, heureusement plus en phase avec la fureur attendue en fin de soirée. On lui préfère grandement le chant exalté d’Enkelejda Shkoza, vibrante Hedwige, ou celui plus raffiné de Jennifer Courcier, touchante et délicate dans le rôle de Jemmy. Autre second rôle d’envergure n la personne de Jean Teitgen qui incarne un Gessler glacial, aux phrasés admirables de résonance intérieure, bien épaulé par la petite voix chantante de Grégoire Mour (Rodolphe). Avec les impeccables Chœurs de l’Opéra de Lyon, bien préparés au niveau de la diction notamment, les seconds rôles constituent l’un des grands motifs de réjouissance de ce spectacle vivement recommandé, à découvrir jusqu’au 17 octobre prochain.
Florent Coudeyrat
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