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Par les rues et par les chemins Strasbourg Palais de la Musique 10/04/2019 - George Benjamin : Dance Figures
Julia Wolfe : riSE and flY
Gustav Mahler : Symphonie n°1 en ré majeur «Titan» Colin Currie (percussion)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Antony Hermus (direction) (© Nicolas Rosès)
Concert mixte, puisque inclus à la fois dans la programmation du Festival Musica et celle de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, et public de ce fait composite aussi, incluant une fraction sympathiquement jeune voire inexpérimentée, qui applaudit d’enthousiasme entre les mouvements de la symphonie de Mahler proposée en fin de programme. Mais qu’importe: le Palais de la musique strasbourgeois est bien rempli et l’écoute paraît réceptive, à l’exception notable d’une horripilante vingtaine de tousseurs saisonniers qui auraient mieux fait de rester chez eux.
Dance Figures («Scènes chorégraphiques pour orchestre») est à l’origine une partition pensée pour le ballet, composée en 2004 en vue d’une chorégraphie d’Anna Teresa de Keersmaeker (commande conjointe du Théâtre de la Monnaie, du Chicago Symphony Orchestra et du festival Musica de Strasbourg, où George Benjamin lui-même était venu la diriger en 2005). Est-ce le propos chorégraphique qui a incité le compositeur à une certaine dispersion, en tableaux orchestraux successifs qui semblent n’avoir pour point commun que la même aisance dans le maniement d’un orchestre tantôt ductile et transparent tantôt plus massif ? Toujours est-il que ces 15 minutes d’une écriture raffinée déroutent voire parfois ennuient (le «toussomètre» en atteste), mais peut-être aussi du fait d’une direction d’orchestre relativement simpliste, le chef néerlandais Antony Hermus paraissant plutôt préoccupé d’assurer la cohésion d’ensemble avec des battements de bras d’une régularité sémaphorique que de faire valoir le chatoiement des détails instrumentaux. Au passage on se raccroche plutôt à certaines nappes spectrales qui évoquent fugitivement Sibelius, ou à certains gestes très stravinskiens, le reste paraissant plus décousu, sans que la très belle qualité instrumentale de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg soit en cause.
Le titre de l’œuvre suivante, riSe and fLY, de la compositrice américaine Julia Wolfe, est emprunté à Early in the Mornin, un lancinant chant de travail de bagnards afro-américains, prisonniers enchaînés les uns aux autres, avec en guise de seul instrument à percussion les pics qui leur servent à casser des cailloux. Documenté au siècle dernier en milieu pénitentiaire par l’ethnomusicologue Alan Lomax et publié dans l’album Prison Songs, ce chant s’impose avec une authenticité terrible, expression rythmée d’une souffrance physique qui tourne en rond, à perpétuité. En écrivant un concerto à la demande du percussionniste écossais Colin Currie, Julia Wolfe a souhaité s’inscrire dans le courant répétitif américain par cette voie un peu détournée de rythmes d’un profond enracinement populaire: pulsations viscérales des rues de New York avec ces street musicians qui tapent en cadence sur les objets les plus improbables, ou encore fréquente tradition d’utilisation du corps en tant qu’instrument à percussion dans les musiques country américaines. Il en résulte moins un Concerto pour percussion qu’un véritable Body Concerto, que Colin Currie, créateur de l’œuvre à Londres en 2012, continue à interpréter aujourd’hui avec un brio étourdissant. Deux micros situés de part et d’autre du soliste ne captent pendant toute la première partie que des impacts corporels: claquements de doigts, frappements de mains, coups répétés sur le thorax et les cuisses, coups de pied sur l’estrade, le tout scrupuleusement noté et culminant dans une longue cadence soliste d’une vibrionnante virtuosité. Ensuite, pendant qu’une partie de l’orchestre prend provisoirement le relais en tapant aussi des pieds, le soliste s’attaque pour la seconde partie à une série d’instruments hétéroclites : plaques de métal, poubelles renversées... Là encore avec une réjouissante précision dans les impacts et les combinatoires: des effets d’envoûtement auxquels l’orchestre participe avec une superposition d’ostinati simplistes mais efficaces, crescendo qui indéniablement amène à un état second. Un ouvrage que l’on peut juger un peu trop facile et accrocheur mais dont le mélange d’authenticité et d’abattage interpelle, voire suscite un vrai plaisir physique à l’écoute. Une réussite indissociable sans doute de la personnalité rayonnante de son dédicataire Colin Currie, qui semble vraiment, au sens propre du terme, faire corps avec la partition.
Intéressant voire providentiel attelage avec la Première Symphonie «Titan» de Mahler en seconde partie. Autre siècle mais là encore une musique impure, avec ses bruits de nature voire ses fanfares de rue. Une œuvre idéale pour l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, qui l’a souvent très bien réussie par le passé. Mais ce soir, peut-être du fait d’une direction d’orchestre dont les idées directrices ne s’imposent pas nettement, le résultat laisse sur sa faim. Une très belle introduction, aux nuances subtilement dosées, laisse entrevoir un bel univers mais ensuite la battue en reste à des signaux relativement basiques, avec pour résultat un ouvrage qui paraît manquer de vie organique, figé en épisodes segmentés. Impression diffuse mais tenace, encore renforcée par le relatif manque de distinction sonore d’un Orchestre philharmonique de Strasbourg dans une forme seulement moyenne, ce qui se trahit moins par des cors relativement peu sûrs, mais sans couac majeur, que par un certain manque d’implication des cordes, que même Charlotte Juillard n’arrive pas à entraîner avec son enthousiasme habituel. Pour le conséquent cycle Mahler entrepris par l’orchestre cette saison, un début un peu artisanal. Mais gageons qu’avec les symphonies suivantes, auxquelles pourront sans doute être consacrées davantage de répétitions qu’ici, pour ce concert composite, le résultat se révèlera plus compétitif.
Laurent Barthel
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