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Un brillant début de saison

Madrid
Teatro Real
09/18/2019 -  et 19, 21, 22, 24, 27*, 28*, 29, 30 septembre, 2, 3, 4, 5, 6 octobre 2019
Giuseppe Verdi: Don Carlo
Maria Agresta*/Ainhoa Arteta*/Roberta Mantegna (Elisabetta de Valois), Ekaterina Semenchuk*/Silvia Tro Santafé*/Ketevan Kemoklidze (La Principessa Eboli), Natalia Labourdette (Tebaldo), Dmitry Belosselskiy*/Michele Pertusi*/Dmitri Ulyanov (Filippo II di Spagna), Marcelo Puente*/Andrea Carè*/Alfred Kim/Sergio Escobar (Don Carlo), Luca Salsi*/Simone Piazzola*/Juan Jesús Rodríguez (Rodrigo), Mika Kares/Rafal Siwek (Il Grande Inquisitore), Fernando Radó (Un monaco), Moisés Marín (Il Conte di Lerma, Un araldo reale), Leonor Bonilla (Una voce del cielo)
Coro Titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), Andrés Máspero (chef de chœur), Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Nicola Luisotti (direction musicale)
David McVicar (mise en scène), Axel Weidauer (reprise de la mise en scène), Robert Jones (décors), Brigitte Reiffenstuel (costumes), Joachim Klein (lumières), Jan Hartmann (reprise des lumières), Andrew George (chorégraphie), Mónica Domínguez (reprise de la chorégraphie)


A. Arteta, M. Pertusi (© Javier del Real/Teatro Real)


Ce Don Carlo est donné dans la version de Modène de 1886, c’est-à-dire une version cinq actes (avec Fontainebleau), semblable à la version française – on sait qu’il y a plusieurs possibilités de «version française» – avec des textes parfois modifiés, sans les ballets obligatoires de l’Opéra de Paris d’antan: ce sont les ballets et le tableau de l’auto da fé, ceux qui établissent Don Carlos ou Don Carlo comme grand opéra. Pourquoi pas? Un honneur pour le genre du grand opéra, un peu déprécié aujourd’hui.


On a comparé la mise en scène de McVicar pour Gloriana, dans ce même théâtre (voir ici), avec son Don Carlo qu’on peut voir maintenant, ce Don Carlo étant sa production de 2007 pour Munich (voir ici. A mon avis, Gloriana était superbe, Don Carlo tout simplement bien, souvent très bien, mais pas à la hauteur de Gloriana. Commencer une saison avec un opéra aussi exigeant, un chef-d’œuvre insurpassable, avec des exigences de chant et scène d’égale importance, est un grand pari, un risque. Peut-être une nouvelle production aurait-elle été plus pertinente. Mais, on le sait bien, le critique écrit au fond de sa quiétude sans émotions économiques. Peut-être le Teatro Real a-t-il eu des raisons valables pour retrouver cette production dans laquelle, d’ailleurs, il y a une profusion d’atouts esthétiques, surtout si l’on dispose de distributions comme celles-ci. Quand même, tout est reprise : la mise en scène, les lumières, les mouvements chorégraphiques! Où étaient les créateurs originaux? Mais on le sait bien aussi, la caste privilégiée des artistes scéniques d’opéra ne sont jamais là, ils voyagent, ils ont trop de choses à faire avant que l’étoile de la fortune ne les boude pas. Voilà: Gloriana était fraîche; Don Carlo est un peu usé (les mises en scène vieillissent trop vite, sauf exceptions de génie). Heureusement, il y a les voix, les distributions, la fosse.


Les décors sont un peu trop accablants. Oui, certainement, on comprend: les colonnes en briques, les marches en briques, les tombes en briqués, cela signifie l’oppression. Trop de subtilité, n’est-ce pas? En tout cas, à la laideur des décors s’ajoute une vision obligatoire en escalier où l’espace, large et plein de possibilité, demeure restreint, voire étroit. En tout cas, une première impression – ah, c’est terrible cette prison de briques pour les libertés évoquées par Posa et Carlo – mène a la sensation d’écrasement, de fatigant (pour le spectateur). Trop de briques.


Mais le niveau artistique élevé de cette production n’est pas contestable. Aujourd’hui, on a tendance à devoir justifier une production en costumes, comme celle-ci, à peu près historique dans les costumes, du moins très convaincante du point de vue historique. On ne fera pas son plaidoyer, cette production n’en a pas besoin. Mais on préfère avertir... au cas où.


Si la production est toujours satisfaisante, malgré tout, il faut signaler que cette fois-ci, ce sont les voix et la fosse ceux qui permettent parler d’une véritable «première». Deux distributions (trois, même) de luxe, avec des premiers rôles parfois d’un niveau supérieur, comme pour deux des sopranos, Maria Agresta et Ainhoa Arteta (on n’a pas vu Roberta Mantegna), deux incarnations vocales et théâtrales de premier ordre, semblables, pas identiques certainement, des sopranos pleinement lyriques, dans le duo avec Carlo et, surtout, la scène, seule (scena-aria) au début du dernier acte. Maria Agresta a surpris tout le monde: on imaginait à l’avance une très belle interprétation, mais elle est allée plus loin que ce qu’on attendait d’une voix qui chante le rôle pour la première fois. De la part d’Ainhoa Arteta, on espérait un résultat aussi beau que celui qu’elle a su donner encore une fois. On a la part de drame et de dureté mais très simple, naturelle dans son tourment, avec la voix douloureuse d’Agresta et la part tragique, une rigidité apparente, une héroïne de la destinée, avec la superbe Ainhoa Arteta. Des deux ténors, la prestance de Marcelo Puente est plus convaincante pour le personnage que sa ligne de chant, correcte mais un peu limitée. La voix d’Andrea Carè est plus pleinement lyrique, belle couleur, une certaine faiblesse d’émission, belle construction du personnage.


Deux Philippe différents: la voix grave et obscure de Belosselskiy, dans la tradition des voix sombres russes (il a été Fafner, Ramfis, Boris Godunov mais aussi Escamillo!) évoque l’introspection du vieil homme au pouvoir dans le déclin de sa vie et ses exploits (au contraire du Philippe historique); Michele Pertusi est plus combatif mais aussi plus réfléchi, plus jeune, une interprétation où le fardeau du personnage n’est pas aussi accablant que d’habitude. Tous les deux sont mis à l’épreuve du formidable monologue («Ella giammai m’amò») et le dialogue redoutable avec le Grand Inquisiteur, une de points culminants dramatiques de cet opéra.


Ce n’est pas la faute de Luca Salsi s’il a parfois des difficultés dans le bas du registre: Verdi a trop demandé de graves pour un rôle de baryton. Une belle vision du personnage toujours considéré comme «improbable» et «invraisemblable», mais présenté par Schiller et aussi par Verdi comme le héros idéal dans le combat pour les libertés de leur temps, pas celles du XVIe siècle. Plus convaincante dans le côté dramatique (ce qui, nécessairement, a une influence sur la ligne vocale) est la prestation de Simone Piazzola, imposant du point de vue drame comme dans sa voix robuste et expressive.


Un autre personnage «improbable» dans cette histoire est celui de la Princesse Eboli, un rôle pour une voix féminine plutôt graves, avec des moments pleins de splendeur. Elle est ici une «rousse dangereuse» (les cheveux), et les deux voix ont permis de voir une femme bien définie, malgré les manques de motivation dramatiques qui font d’Eboli un personnage faible dans le livret (ce qui reste un peu dans le chant) malgré sa partie formidable (la chanson du voile, le trio nocturne, le quatuor de l’acte IV, son solo «O don fatale»): plus obscure, plus profonde, la voix de Semenchuk, inquiétante, un peu sorcière (charmante ou, en revanche, diabolique); plus claire, avec plus d’éclat, la voix de Silvia Tro Santafé, ce qui ne l’empêche pas chanter son «don fatale» avec une vérité lyrique et dramatique à la hauteur de ce moment.


Et il faut aussi remarquer les deux Grands Inquisiteurs, comme si McVicar avait voulu deux acteurs d’une stature supérieure à la normale. En même temps, il fallait une voix profonde pour l’opposer à celle du roi. Et une interprétation convaincante, car il faut suggérer un personnage nonagénaire. Le sinistre personnage, symbole de l’alliance entre le trône et l’autel, avec de dures servitudes pour le pouvoir temporel, est incarné par deux voix différentes mais très appropriées pour ce rôle: le Finnois Mika Kares et le Polonais Rafal Siwek, voix graves, voix imposantes.


Sans allonger outre mesure ce compte rendu, il faut signaler (au moins) deux tableaux comme des moments où toute l’équipe, le chœur, l’orchestre et les solistes marchent à la perfection, justement deux tableaux insurpassables de cet opéra, l’autodafé (solistes, chœurs) et le premier tableau de l’acte IV (Philippe, seul; Philippe avec le Grand Inquisiteur; Philippe avec Isabelle; le quatuor; Eboli seule). C’est là, dans ces deux moments de continuité dramatique pleinement réussis dans la partition, deux moments aussi différents (la fête macabre de l’autodafé; l’intimité des chœurs et du pouvoir), qu’on voit la réussite de la mise en scène et, particulièrement, de l’accompagnement dans la fosse. Avec un chœur toujours splendide, avec des solistes de haut niveau, Luisotti a su accompagner, nuancer, accentuer, dans une séquence où les soli instrumentaux étaient peut-être plus inspirés, tandis que les solistes, chœur, etc. étaient plus technique et solides. Luisotti, lui-aussi, a été un héros de ce Don Carlo.


Une belle idée: McVicar modifie la fin en se servant du tableau de l’autodafé. Si, à la fin de l’autodafé, il y a une voix céleste qui invite les torturés au Ciel (ici, la voix vraiment angélique de Leonor Bonilla), McVicar transforme l’apparition du moine-Charles V en une nouvelle voix du ciel. Qui sait? C’est peut-être une des solutions possibles aux doutes de Verdi, lui-même, à l’égard de cette solution dramatique.


Don Carlo est une très belle histoire. Dommage qu’elle n’ait rien à voir avec les personnages et les faits historiques évoqués, surtout les deux jeunes, Carlos et Isabelle, trop petits pour des aventures comme celles-ci. Ou le roi Philippe, qui n’était alors pas vieux – il avait 35 ans. Schiller a su faire une tragédie formidable d’un écrit un peu bête d’une sorte de curé du XVIIe, il ne pouvait pas critiquer les petites principautés et royaumes d’Allemagne; et Verdi, malgré l’Opéra de Paris et le grand opéra, a su faire un chef-d’œuvre insurpassable, et insurpassé par lui-même (tout en sachant que Verdi ne peut s’empêcher une petite vulgarité, ou son petit kitsch, comme la marche chantée des deux «copains», et répétée parfois comme un petit leitmotiv).



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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