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Koma: une expérience-limite à l’Opéra de Dijon

Dijon
Opéra
06/14/2019 -  et 15 juin 2019
Georg Friedrich Haas: Koma
Ruth Weber (Michaela), Stefan Zenkl (Michael), Bryony Dwyer (Jasmin), Daniel Gloger (Alexander, Mutter)
Kärntner Sinfonie Orchester, Bas Wiegers (direction musicale)
Immo Karaman (mise en scène), Nicola Reichert (scénographie et conception des costumes), László Zsolt Bordos (projection vidéo), Klagenfurt Stadttheater (décors et fabrication des costumes)


(© Gilles Abegg)


Pour l’Autrichien Georg Friedrich Haas (né en 1953), fils spirituel de Giacinto Scelsi, «il faut regarder et écouter comment les sons se développent afin qu’ils grandissent et deviennent quelque chose». Koma (2016), composé lors d’une retraite de plusieurs semaines à l’écart du fracas du monde, est façonné par des matériaux microtonaux et spectraux assouplis par l’aléatoire, mais semble dans son intrigue même se faire l’écho de cette quête intérieure des sons qui a conduit le compositeur à affiner son style. Une chambre d’hôpital. Depuis ce que sa famille persiste à appeler «l’accident» (vraisemblablement un suicide), Michaela est dans le coma. Autour d’elle s’affairent ses proches: sa fille, que la douleur mure dans le même silence que sa mère, son mari Michael, sa sœur Jasmin et son époux Alexander, avec lequel la malade avait une liaison.


Par le biais d’une dramatisation des textures sonores et de fascinants jeux de lumières (subtilement gradués), Haas noue l’intrigue autour de la perception des événements et des dialogues. Les deux tiers du temps, la salle est baignée dans l’obscurité la plus totale, phénomène devenu étranger à nos vies urbaines depuis l’avènement de la «fée électricité». Il n’est pas jusqu’aux sur-titrages et aux lampes des sorties de secours qui ne doivent être désactivés (une expérience déjà tentée par le compositeur en 2001 avec son Troisième Quatuor)... ce qui oblige les musiciens à jouer par cœur. La scène bénéficie de l’art de László Zsolt Bordos, maître de la projection vidéo comme le peintre de son pinceau: voici un intérieur d’hôpital et ses murs blancs aseptisés qui deviennent, l’espace de quelques secondes, le réceptacle de la mémoire vacillante et des traumatismes d’enfance de Michaela. La mise en scène d’Immo Karaman évite l’agitation vaine au profit de postures figées, voire convulsives, au diapason du tactus dramatique imposé par l’éclairage intermittent et une dramaturgie dans laquelle «le temps s’y dilate autant qu’il s’y dilue» (Alain Féron dans les notes de programme).


Le système non tempéré était tout désigné pour explorer ces zones intermédiaires où flotte la conscience. Ce que le compositeur exige en termes d’intonation, il le rétrocède en terme de rythme: privilégiant le «temps lisse» sur le «temps strié», l’horizontal sur le vertical, la musique se veut le prolongement de la station désespérément couchée de la protagoniste. Le tracé tremblant des cordes où affleurent par endroits des lambeaux de mélodies, les arpèges ascendants du piano (accordé microtonalement), les grondements sourds des cuivres (où transitent quelques réminiscences des Espaces acoustiques de Gérard Grisey) et les mugissements du tam-tam dessinent un fascinant tapis sonore sur lequel les chanteurs inscrivent un récitatif caractérisé par son morcellement – les répliques se limitent souvent à un seul mot. Lors des moments d’obscurité complète surgissent les appels d’une voix depuis le premier balcon, sorte d’ectoplasme égaré de Brangäne.


Œuvre d’art totale, Koma gomme les individualités au profit de la réussite collégiale. Epinglons toutefois le contre-ténor Daniel Gloger, d’une intensité à couper le souffle, et la maestria instrumentale de l’Orchestre symphonique de Carinthie placé sous la direction de Bas Wiegers.


Salué outre-Rhin par le prix de la création de l’année 2016 décerné par le magazine Opernwelt, Koma (auquel l’affaire Vincent Lambert confère une intensité singulière) constitue une expérience-limite – située au-delà de la pure émotion musicale – d’où l’on ressort ébranlé. Sachons gré à l’Opéra de Dijon et à son directeur, Laurent Joyeux, d’en avoir assuré la création française dans les meilleures conditions.



Jérémie Bigorie

 

 

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