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Au-delà du piano

Baden-Baden
Festspielhaus
05/04/2019 -  et 28 février 2019 (Tokyo)
Frédéric Chopin : Mazurkas, opus 24 – Scherzos n° 1, opus 20, n° 2, opus 31, n° 3, opus 39, et n° 4, opus 52
Johannes Brahms : Sonate pour piano n° 2 en fa dièse mineur, opus 2

Krystian Zimerman (piano)


K. Zimerman (© Krysztof Karolczyk Agencja Gazeta)


Lauréat du Concours Chopin de Varsovie en 1975, le pianiste polonais Krystian Zimerman a tellement souvent interprété les œuvres de son compositeur national, qu’on se demande s’il parvient encore à se passionner pour le sujet. A l’épreuve des quatre Scherzos d’affilée (avec un bref retour en coulisses entre chaque, peut-être le temps de se décontracter les épaules et les bras...), on pressent une certaine lassitude, comme si l’interprète laissait courir ses mains dans des traits si familiers qu’il n’est même plus nécessaire de les jouer précisément. Tout se résout dans les élans, énergiques et bien calibrés, mais le détail n’y est pas, les doigtés cafouillent et une pédale généreuse enrobe opportunément le tout. Rien de déshonorant mais rien de concurrentiel non plus, à une époque où des dizaines de jeunes génies du piano détaillent toutes ces cavalcades avec une assurance bien plus brillante.


En fait, l’intérêt de Zimerman semble définitivement ailleurs. On retrouve mieux cet artiste unique dans les parties médianes de ces Scherzos tripartites. S’élève alors un chant d’une extrême noblesse, tout en nuances et en détails, qui fait glisser Chopin vers autre chose : une musicalité bien sûr belcantiste mais plus encore impressionniste, qui n’est plus qu’ombres et lumières, taches de couleurs aux contours subtilement estompés... Décidément, à quoi bon s’échiner, alors que Zimerman semble bien davantage à même aujourd’hui de nous ourler des Nocturnes, des Préludes ou des Mazurkas d’un raffinement ineffable. A l’image de cet Opus 24 qui ouvre le récital : quatre miniatures parfaitement équilibrées, entre pulsation dansante marquée juste ce qu’il faut et tensions harmoniques traquées jusqu’au plus profond du clavier (comme d’habitude un piano « familier », livré au Festspielhaus à grands frais, Zimerman exigeant de ne se produire au concert que sur des instruments qu’il pratique régulièrement : ici un Steinway à la sonorité chaleureuse, minutieusement révisé, pour ne pas dire transformé, dans les ateliers d’Angelo Fabbrini à Pescara).


Pourquoi avoir programmé dans ces Scherzos tapageurs un Zimerman qui semble tellement plus attiré aujourd’hui par des musiques crépusculaires, dont il sait calibrer comme personne les plus infimes résonances : les derniers Beethoven et Schubert, Brahms, Szymanowski...? Peut-être une concession à des organisateurs de concert qui froncent le nez en voyant aussi la Deuxième Sonate de Brahms sur le programme et qui cherchent à offrir une attraction plus facile et spectaculaire en seconde partie? Non pas que cette rude Sonate en fa dièse mineur ne soit pas spectaculaire à sa manière, tellement chargée d’accords lourds que l’interprète semble s’y démancher les bras. Mais cette musique torrentielle, où un jeune compositeur de même pas vingt ans jette tout à trac une inspiration désordonnée qui incube à gros bouillons, n’est vraiment pas de celles que l’on peut écouter avec une simple attention polie. Soit on tente avec le pianiste d’en suivre les moindres cascades et ressacs, au prix d’une concentration d’écoute parfois épuisante, soit on se décourage vite devant tant de foucades et de bariolages, et l’esprit s’évade ailleurs. Zimerman tente l’aventure courageusement, s’en met plein les doigts avec des accords dont il parvient globalement à bien gérer la massivité, en évitant que l’instrument sature ou devienne métallique, mais là encore, il sort du sujet : plus de romantisme échevelé mais un jeu de timbres très moderne, aux confins d’une certaine abstraction. Passionnant, mais on n’est pas tout à fait sûr que cela suffise.


La tension des Scherzos de Chopin évacuée, à l’heure des bis, Krystian Zimerman peut annoncer au public qu’il va retourner à Brahms : cette fois celui des rares Ballades opus 10. Il y en aura trois (les Première, Deuxième et Quatrième) et cette partie du concert est vraiment la plus belle. Là encore ombres et lumières, phrasés vocaux presque en lévitation à force de legato subtil, ou comment relire le romantisme allemand à la lumière d’un Fauré ou d’un Debussy : un véritable enchantement!



Laurent Barthel

 

 

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