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Silence, on enregistre !

Strasbourg
Palais de la Musique
04/25/2019 -  et 26* avril 2019
Hector Berlioz : La Damnation de Faust, opus 24
Joyce DiDonato (Marguerite), Michael Spyres (Faust), Nicolas Courjal (Méphistophélès), Alexandre Duhamel (Brander)
Coro Gulbenkian, Jorge Matta (chef de chœur), Les Petits Chanteurs de Strasbourg, Luciano Bibiloni (chef de chœur), Orchestre philharmonique de Strasbourg, John Nelson (direction)


(© Grégory Massat)


Le rouge est mis sur pour ces deux concerts de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg. Comme pour Les Troyens il y a exactement deux ans, Warner-Erato a posé ses micros pendant quelques jours au Palais de la Musique, le temps d’enregistrer à la fois les répétitions, les deux concerts, ainsi qu’une session de raccords à l’issue. De quoi publier une nouvelle étape du cycle discographique Berlioz dirigé par John Nelson, parution dont on peut espérer beaucoup si l’on en juge déjà par l’aboutissement musical de ces deux soirées.


Au début du premier concert, les musiciens paraissent jouer avec une relative appréhension, comme si les enjeux de l’enregistrement induisaient une nervosité particulière, mais cette impression se dissipe assez vite, aussi parce que John Nelson a une façon très immédiate de mettre ses partenaires à l’aise : une direction toute en souplesse, sans baguette, qui ne recherche pas forcément une précision rigoureuse mais qui n’a pas son pareil pour alimenter progressivement en substance les grands élans, comme s’il fallait construire cette Damnation de Faust en vagues d’énergie successives, alternant moments de détente poétique et moments où la tension s’installe à nouveau jusqu’à culminer dans des paroxysmes grandioses. On est là dans une vision tout à fait différente du morcellement anecdotique recherché par exemple par Simon Rattle à Baden-Baden : ici le romantisme déferle sans brides ni affectation, et l’orchestre berliozien bourdonne d’une vie intense, chaque musicien des cuivres et de la petite harmonie pouvant intervenir dans un esprit plus concertant que simplement symphonique. Naturel et transparence sont sans doute les mots-clés de cette vision, qui donne vraiment à Berlioz énormément d’allure et surtout d’intérêt dramatique : en définitive La Damnation de Faust n’a vraiment pas besoin d’être mise en scène, puisque le principal théâtre qu’elle nous offre est bien cet orchestre symphonique moderne en majesté, où il se passe tant de de choses passionnantes qu’il ne faut pas moins de deux soirées consécutives pour avoir le temps de tout écouter et regarder. Grâce à d’excellents premiers pupitres, y compris même maintenant des cors qui tiennent dignement leur place, suite à un recrutement récent, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg délivre une prestation d’un niveau réellement discographique, surtout le second soir où l’essentiel du trac a disparu et où tous peuvent donner le meilleur. Il est simplement dommage que le public tousse avec aussi peu d’égards pour l’enregistrement en cours. Certes la répétition générale, dépourvue de ces pollutions sonores, est déjà en boîte, mais certains moments du concert, bien que peut-être supérieurs, seront difficiles à utiliser tels quels, et c’est dommage, à moins que des micros vraiment très directionnels puissent éventuellement gommer tous ces bruits parasites.


L’Orchestre philharmonique de Strasbourg brille dans sa meilleure forme, mais le chœur invité ne se laisser pas voler la vedette si facilement. Si les membres du Coro Gulbenkian laissent parfois passer quelques inflexions teintées d’exotisme méridional, leur français n’en est pas moins remarquable, de même que leur engagement dramatique. Là encore il y a énormément de détails à écouter, et beaucoup d’intensité dans le jeu : certaines scènes grouillent d’une vie véritablement cinématographique, comme la taverne d’Auerbach (une désopilante fugue où tout le monde nasille comme bigots en goguette) et plus tard les apparitions de la Course à l’abîme et du pandaemonium, terrifiantes comme des travellings hitchcockiens. Et là encore la seconde soirée est meilleure, certains petits défauts de cohésion initiaux ayant complètement disparu.


Reste l’affiche des solistes, sur laquelle, comme pour Les Troyens, on n’a pas lésiné, les trois principales voix ayant d’ailleurs déjà participé à l’enregistrement précédent. Vraisemblablement plus habituée à chanter Marguerite que Didon, dont les grandes manières lui posaient parfois quelques problèmes d’intonation, Joyce DiDonato incarne une héroïne de Goethe nuancée, dont elle parvient à nous faire ressentir tous les affects, y compris la détresse la plus intime, et ce beaucoup mieux qu’à Baden-Baden, où le contexte ne l’incitait pas à autant de spontanéité. Le rôle est très court mais DiDonato nous y offre généreusement tous ses atouts, avec juste ce qu’il faut de préméditation pour s’y rendre inoubliable. Pour la Chanson du rat (il n’y a que cela à faire dans le rôle de Brander, et pourtant ce simple numéro isolé nécessite un chanteur de premier plan), on a recruté le baryton français Alexandre Duhamel, à la carrière prometteuse. L’investissement est fructueux. Pour ce qui est du Méphistophélès de Nicolas Courjal, qui a bien davantage à chanter, on reste un peu plus perplexe. Le démonisme du personnage paraît scruté dans ses plus infimes détails, comme si chaque mesure de la partition avait donné lieu à une véritable mise en scène préalable : l’acteur crève l’écran, mais sa voix n’est pas des plus belles, avec de curieuses lézardes qui compromettent l’homogénéité du timbre et aussi un relatif manque de projection, qui ne sert au mieux ni la Chanson de la puce, ni surtout le vénéneux « Voici des roses », où la voix paraît moins soutenue qu’engloutie par l’énergie des trombones à l’arrière-plan. Au disque, quand les ingénieurs du son auront rééquilibré tout cela, le résultat sera peut-être plus homogène.



(© Grégory Massat)


Gardons pour la fin le Faust de Michael Spyres. Presque constamment en scène, invariablement debout, campé sur ses deux jambes comme une colonne inébranlable, et sans partition, le ténor américain semble vivre son rôle jusqu’à une totale identification. Tout y est : la beauté du timbre, la perfection d’une articulation française qui ne laisse pas une syllabe dans l’ombre, une technique impeccable avec des aigus en voix mixte intelligemment négociés, et puis surtout une sensibilité extraordinaire, sur le fil de l’émotion au point parfois d’en risquer la rupture. La redoutable fin de l’Invocation à la nature, sur laquelle il faut sortir des réserves de souffle digne d’un buffet d’orgue, se tend presque jusqu’à l’accident, évité de peu le premier soir. En revanche, le lendemain, l’exploit se réalise avec le panache d’un sportif olympique. Une performance mémorable, et sans doute, pour le disque à venir, un atout maître.



Laurent Barthel

 

 

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