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Michaël Levinas souffle ses 70 bougies à La Scala

Paris
La Scala
04/15/2019 -  
Gérard Grisey : D’eau et de pierre
Michaël Levinas : Etudes sur un piano espace – Préfixes – Le Poème battu

Mathieu Dubroca (baryton)
Ensemble Le Balcon, Ensemble L’Itinéraire, Maxime Pascal (direction), Florent Derex (projection sonore), Carlo Laurenzi, Nicolas Vérin, Augustin Muller (réalisation informatique Ircam)


(© C. Daguet/Editions Henry Lemoine)


Maxime Pascal (qui fut son élève au CNSM de Paris), l’Ircam, les ensembles Le Balcon et L’Itinéraire célèbrent les 70 ans de Michael Levinas, l’un des pères fondateurs du mouvement spectral. L’occasion, à la faveur d’un bref discours liminaire, d’en rappeler l’acte de naissance dans le sillage du Stockhausen de la fin des années 1960 et du début des années 1970, celui de l’emblématique Stimmung (1968) et du séminaire donné à Darmstadt en 1972. Un véritable choc pour les musiciens liés à l’ensemble L’Itinéraire (Levinas, Grisey, Murail, Dufourt, Tessier...), créé au même moment: à la combinatoire sérielle se substituait une recherche sur le spectre sonore en lien avec l’informatique musicale.


Pour évoquer ce compagnonnage de toute une génération a été choisie une œuvre de jeunesse de Gérard Grisey (1946-1998) rarement jouée, D’eau et de pierre, dont la première eut lieu le 26 novembre 1972 dans le cadre des Rencontres internationales de musique contemporaine de Metz par l’Ensemble européen sous la direction de Michel Tabachnik. Soit deux groupes instrumentaux, au caractère antinomique: à gauche, L’Itinéraire incarne l’élément «statique, paisible, éternel»; à droite, Le Balcon incarne l’élément «dynamique, agressif, vigoureux», dont les interventions disruptives entraînent une réaction du groupe statique, «comme une eau dormante dans laquelle on jetterait des pierres». Une partition qui s’éploie sur le temps long (trente minutes) et qui génère une dramaturgie peu coutumière au courant spectral. D’une attention constante au son (son avènement, ses modulations), Maxime Pascal façonne un objet musical fascinant en ce qu’il montre le compositeur encore aux prises avec ses contradictions. Contradictions qu’il appartiendra aux premières pièces des Espaces acoustiques de résoudre, quelques années plus tard, dans le sens d’une plus grande synthèse des éléments constitutifs du son.


L’univers sonore des Etudes sur un piano espace (1977) «dépasse le contrepoint, la mélodie, l’harmonie et le rythme». On y entend en fond un souffle, qui évoque les galets roulant sur la grève au moment du reflux. Le jeu suggestif et fragile de Trami Nguyen épouse le caractère éphémère des sonorités, ces études agissant comme «une esquisse préparatoire aux deux Concertos pour un piano espace.»


On sera plus circonspect sur Le Poème battu (2009) pour voix, piano, percussion et électronique, en dépit des vociférations persuasives de Mathieu Dubroca. Extrait du recueil Héros-limite, le texte de Ghérasim Luca – dont Gilles Deleuze affirmait qu’il faisait «bégayer la langue» –, intitulé Poème tambouriné, se voit soumis à un traitement dont le filtrage, certainement très savant, s’efface au profit d’un maelstrom chaotique.


Plus convaincante, la version révisée de Préfixes (1991/2019) pour ensemble et électronique bénéficie du commerce du compositeur avec l’opéra, genre dans lequel il s’est investi régulièrement depuis Go-gol (1996). Cet intérêt porté à la vocalité du son l’a conduit à des «recherches sur l’hybridation des transitoires d’attaque entre la voix et les instruments et les instruments eux-mêmes». Au lieu de se concentrer sur la dense polyphonie pouvant aller jusqu’à «trente parties réelles», l’oreille se laisse aller à une écoute beaucoup plus rhapsodique, sensible tour à tour aux phases d’accélérations et aux séquences planantes (belles sonorités de gamelans à la harpe et aux percussions). Opposés dans la pièce de Grisey, les deux ensembles parviennent ici à une véritable fusion des timbres démultipliée par l’électronique qui doit beaucoup au geste concentré de Maxime Pascal.


Au fait, quid de la conservation des musiques mixtes qui exigent des supports d’enregistrements menacés par l’obsolescence technologique? «L’œuvre ayant recours à la technologie porte en elle-même, par les innovations qui la rendent possible, sa propre mort. Voilà qui risque de modifier son statut même», répond Levinas; à la lumière de l’incendie dont la cathédrale Notre-Dame de Paris a été le théâtre lundi dernier, cette réflexion sur la pérennité des œuvres d’art acquiert une résonance d’une troublante gravité.



Jérémie Bigorie

 

 

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