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Du grand Kosky

Frankfurt
Oper
03/01/2019 -  et 3, 7, 10, 15*, 23 mars, 4 avril 2019
Georges Bizet: Carmen
Zanda Svēde (Carmen), Evan LeRoy Johnson*/AJ Glueckert (Don José), Karen Vuong*/Nadja Mchantaf (Micaëla), Kihwan Sim*/Andreas Bauer Kanabas (Escamillo), Mikolaj Trąbka*/Sebastian Geyer (Moralès, Dancaïro), Jaeil Kim*/Michael Porter (Remendado), Sydney Mancasola (Frasquita), Judita Nagyová*/Karen Vuong (Mercédès), Bozidar Smiljanic (Zuniga)
Chor der Oper Frankfurt, Tilman Michael (chef de chœur), Kinderchor der Oper Frankfurt, Markus Ehmann (chef de chœur), Frankfurter Opern- und Museumsorchester, Leo Hussain (direction musicale)
Barrie Kosky (mise en scène), Alan Barnes (reprise de la mise en scène), Katrin Lea Tag (scénographie et costumes), Joachim Klein (lumières), Otto Pichler (chorégraphie), Zsolt Horpácsy (dramaturgie)


E. LeRoy Johnson, Z. Svēde (© Barbara Aumüller)


Créé à Francfort en 2016, puis reprise ensuite ici-même et à Londres (notamment en 2018), la production de Carmen imaginée par Barrie Kosky est de retour dans les deux villes cette année pour des représentations qui affichent déjà complet dans la Hesse: rien de surprenant à cela, tant le spectacle apparaît comme l’un des plus enthousiasmants que l’on aie pu voir ces derniers mois. Et pourtant, Kosky ne manquera pas de mécontenter les puristes par son choix de supprimer les dialogues au profit d’une voix off en français qui intervient pendant tout le spectacle en un ton rassurant, introduisant de manière insolite les spécificités physiques de la femme idéale ou décrivant les lieux de l’action à la manière de didascalies: on est d’abord surpris avant de s’habituer à cet ajout intéressant, à défaut d’être essentiel. L’idée maîtresse de Kosky consiste à placer le personnage de Don José au centre de l’action, lui faisant vivre une sorte de cauchemar éveillé où il semble subir les événements et les moqueries ironiques et décalées de ses comparses. Volontairement grotesques, de nombreuses scènes se dévoilent sous un regard inédit, bien éloigné du contexte ibérique traditionnel, hormis quelques clins d’œil dans les costumes et chorégraphies.


Autour de fil conducteur pertinent, l’actuel directeur du Komische Oper de Berlin réalise le tour de force de supprimer tout décor, imposant un unique gradin qui envahit tout l’espace: admirablement varié par les éclairages inventifs de Joachim Klein, ce dispositif audacieux avance et recule au gré des péripéties pour donner davantage de profondeur ou d’intimité aux différentes scènes. C’est surtout la direction d’acteur qui impressionne tout du long à force d’inventivité et de maîtrise, en s’attachant à caractériser finement ses personnages, de la frustration sexuelle des soldats rampant vers leurs proies, à la fragilité de Micaëla symbolisée par sa robe simple et ses pieds nus, ou bien sûr à l’ogre sexuel Carmen, dont les représentations visuelles semblent s’embrouiller dans l’esprit perturbé de Don José, passant du toréador flamboyant au gorille inaccessible, avant d’endosser une robe noire de mariée – comme un sinistre présage funeste? Malgré quelques réserves mineures, notamment des bruits de scène pendant les déplacements du chœur, le spectacle emporte l’adhésion à force d’attention aux détails, des splendides costumes qui revisitent l’Espagne dans son rigorisme puritain en noir et blanc aux chorégraphies endiablées qui convoquent autant la corrida que le flamenco.


La direction vivante de Leo Hussain est un autre temps fort de la soirée, tant le chef britannique adopte des tempi dantesques dans les passages vifs et dansants, pour mieux distinguer ensuite les raffinements inouïs dont regorge l’orchestration de Bizet. Son geste a pour avantage d’épouser la vision de Kosky, donnant au drame une lecture narrative des plus passionnantes. Les interprètes relèvent le défi de cette démultiplication des nuances, au premier rang desquels Zanda Svēde, dont la rondeur d’émission et les graves cuivrés lui permettent de composer une vibrante Carmen. On aurait seulement aimé davantage de puissance pour dire qu’elle «est» l’incarnation du rôle. A ses côtés, Evan LeRoy Johnson fait valoir des phrasés d’une noblesse touchante qui donne à son Don José une humanité déchirante tout au long de son calvaire. Seul l’aigu apparaît trop prudent pour convaincre totalement dans les scènes finales. De brio technique, Kihwan Sim (Escamillo) ne manque pas, imposant sa force de caractère et son émission d’une parfaite résonance. Très applaudie, Karen Vuong (Micaëla) donne une composition toute de sincérité, là aussi d’une belle maîtrise, hormis peut-être dans le médium. Comme il est d’usage à Francfort, les seconds rôles sont à un niveau superlatif, particulièrement les brillantes Sydney Mancasola (Frasquita) et Judita Nagyová (Mercédès), tout comme le chœur au français admirable de diction. Logiquement acclamé en fin de représentation, ce spectacle chaleureusement recommandé sera repris à Londres dès juin prochain, avec un autre plateau vocal: à ne pas manquer!



Florent Coudeyrat

 

 

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