About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Un concert d’anthologie

Paris
Philharmonie
02/22/2019 -  et 17 (Hamburg), 19 (Warsaw), 20 (Katowice) février 2019
Claude Debussy: La Mer
Serge Prokofiev: Symphonie n° 5 en si bémol majeur, opus 100

Berliner Philharmoniker, Yannick Nézet-Séguin (direction)


Y. Nézet-Séguin (© Hans van der Woerd)


Ce n’est pas fréquent mais l’Orchestre philharmonique de Berlin effectue avec Paris la dernière étape d’une brève tournée européenne qui aura été conduite non par son directeur musical comme c’est généralement l’habitude (Sir Simon Rattle parti en juin 2018, Kirill Petrenko ne commencera véritablement son mandat qu’en septembre prochain) mais par un chef invité en la personne de Yannick Nézet-Séguin. Ce n’est pas une rencontre nouvelle puisque la première collaboration entre le chef et l’orchestre eut lieu à la fin du mois d’octobre 2010 avec un programme, comme ce soir, franco-russe, Les Offrandes oubliées de Messiaen et la Symphonie fantastique de Berlioz encadrant alors le Deuxième Concerto de certain Prokofiev. Depuis, des concerts berlinois donnés en 2012, 2014, 2016 et 2017 ont renforcé une entente que l’on aura encore pu pleinement constater ce soir, qui plus est à des sommets rarement atteints.


Alors que les trois habituelles représentations données à Berlin par le Philharmonique et Nézet-Séguin les 13, 14 et 15 février dernier débutaient par le Menuet antique de Ravel, c’est directement par La Mer que commençait le présent concert. Le jeune chef canadien en avait déjà donné une interprétation extrêmement convaincante en novembre 2017, à la tête de «son» Orchestre métropolitain de Montréal: sa prestation à la tête des Berliner Philharmoniker fut de nouveau splendide. Dès le début de la première partie («De l’aube à midi sur la mer»), l’orchestre entre en scène de manière presqu’imperceptible, sans aucun effet de masse, la clarté du discours musical allant servir de fil conducteur à un mouvement où l’orchestre s’est notamment illustré à travers ses solistes, à commencer par Emmanuel Pahud à la flûte et Dominik Wollenweber au cor anglais. Le choral de cors à la fin du mouvement est conduit avec une sourde puissance par Yannick Nézet-Séguin, l’orchestre se voulant à la fois rageur (les pizzicati des huit contrebasses: un spectacle en soi bien que n’ayant duré que quelques secondes!) et triomphant. Enchaînant immédiatement avec «Jeux de vagues», c’est un orchestre cette fois-ci aux couleurs plus pastel que l’on entendit, joyeux, illustrant une sorte de bacchanale colorée où l’on entendait parfaitement le ressac des flots peint par Debussy; le chef avance sans cesse, les musiciens le suivant comme un seul homme pour un résultat là encore somptueux. Le «Dialogue du vent et de la mer» fut tout aussi réussi grâce à des cordes à la puissance dévastatrice, distillant une énergie incroyable, entrecoupée de quelques passages plus apaisés à l’image de cet unisson surnaturel entre le hautbois d’Albrecht Meyer et la flûte d’Emmanuel Pahud, sur un tapis de violons à se damner.


Nous étions sur des sommets au sortir de cette première partie mais le meilleur restait à venir avec la Cinquième Symphonie de Prokofiev, dont l’orchestre a gravé une des versions de référence sous la direction de Karajan en septembre 1968 (Deutsche Grammophon). C’est une œuvre que le Philharmonique de Berlin joue peu souvent et qui pouvait paraître quelque peu étrange au sein de ce programme mais le choix s’est avéré ô combien gagnant! Il serait facile de conférer à cette symphonie, composée au printemps 1944 dans l’optique de galvaniser un pays en vue de la victoire totale sur le nazisme, un caractère grandiloquent et monumental; Yannick Nézet-Séguin en donna au contraire une lecture puissante mais recelant mille détails, exempte de toute lourdeur ou clinquant inutile. Dirigeant à mains nues, le jeune chef impressionne par son sens de la progression et par une énergie sans limite à laquelle l’orchestre répond immédiatement, l’un semblant pouvoir tout demander à l’autre sans que ce-dernier ne montre de quelconque signe de fatigue ou de lassitude: une leçon à tous points de vue. Si l’Andante inaugural fut excellent, alliant savamment un côté spectaculaire, presqu’épique, et des timbres grinçants à la limite du grotesque, c’est l’Allegro marcato qui fut le sommet absolu de ce concert. L’ostinato trépidant des cordes, doublé d’une précision absolument diabolique, démontra à qui en douterait que les Berliner Philharmoniker sont bel et bien un des deux ou trois plus grands orchestres du monde. Les couleurs, rappelant en plus d’une occasion le ballet Roméo et Juliette, sont incroyables, les arêtes vives et tranchantes, Nézet-Séguin relançant constamment une machine dont la conduite s’avérait plus que jamais inexorable. L’Adagio, que certains chefs prennent parfois de façon trop alanguie, est ici avant tout dominé par un très grand lyrisme où la finesse des bois et l’ampleur des cordes se doublent de temps à autre de tutti apocalyptiques mais jamais criards, ni vulgaires: on est bluffé! Lancé par la clarinette presque frivole d’Andreas Ottensamer, l’Allegro giocoso conclusif nous entraîne enfin dans une liesse populaire où l’orchestre fait de nouveau preuve d’une dextérité sans limite, quelle que soit la vitesse exigée par un chef qui l’aura véritablement galvanisé de la première à la dernière seconde.


En le voyant ainsi ovationné à juste titre tant par le public que par l’orchestre, on ne pouvait, en sortant de la salle, que se demander si Yannick Nézet-Séguin ne pourrait pas prétendre, dans quelques années, à prendre la tête de cette phalange exceptionnelle. Certes, les aspirants ne manqueront sans doute pas et solliciter un chef qui, actuellement en tout cas, cumule entre autres les postes de directeur musical du Metropolitan Opera de New York, de l’Orchestre de Philadelphie et du Métropolitain de Montréal, sera sans doute compliqué. Mais, comment ne pas se poser la question au vu d’un concert exceptionnel, à titre personnel sans doute l’un des plus grands concerts du Philharmonique que nous ayons jamais vus?


Le site de Yannick Nézet-Séguin
Le site de l’Orchestre philharmonique de Berlin



Sébastien Gauthier

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com