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Un piano sonore et jeune Geneva
Victoria Hall
02/06/2019 -
Frédéric Chopin: Etudes, opus 25
Maurice Ravel: Miroirs
Igor Stravinsky: L’Oiseau de feu (transcription Guido Agosti)
Beatrice Rana (piano)
B. Rana (© Marie Staggat)
Il faut se féliciter que la série des concerts de prestige des Grands Interprètes donne la possibilité de découvrir des nouveaux talents et de ne pas se limiter à des monstres sacrés comme Sokolov, Perahia, Barenboim... Il y a quelques années, le public genevois avait pu entendre le jeune pianiste anglais Benjamin Grosvenor. Cette année, c’est au tour de l’Italienne Beatrice Rana.
Pour de nombreux mélomanes, cette dernière s’est fait connaître par des enregistrements de monuments du répertoire pianistique avec en particulier le terrifiant Deuxième Concerto pour piano de Prokofiev avec rien moins que l’Orchestre de l’Académie Sainte-Cécile sous la direction de Sir Antonio Pappano (voir ici). Ce n’est donc pas une surprise de la voir programmer en première partie l’Everest qu’est le second cahier d’Etudes de Chopin. Sa technique est de premier plan mais ce qui frappe surtout est, qu’à l’opposé de ce que font plusieurs jeunes virtuoses venus d’Asie, elle a une sonorité profonde et riche. Une artiste comme Yuja Wang qui s’est aussi illustrée dans le même Prokofiev a également une technique remarquable et en particulier une vélocité impressionnante. Mais son style est très différent et surtout, elle n’a pas la dynamique de la pianiste italienne. Voici sous ses doigts de vrais fortissimos qui ont de réelles couleurs sans la moindre dureté. Sa main gauche est particulièrement riche et on se demande ce qu’elle pourrait faire dans du Brahms. Les Etudes qui, comme les deux dernières, demandent du souffle et du lyrisme, ressortent avec beaucoup d’éloquence. Les plus légères ne sont pas sans élégance et grâce. La Neuvième Etude est jazzy à souhait. Les seul bémols à mentionner sont cependant des rubatos trop marqués et, en particulier, trop souvent une tendance à ralentir certains passages, quitte à briser la simplicité de la ligne mélodique belcantiste de Chopin. Son aîné Maurizio Pollini nous a peut-être habitués à mélanger une grande virtuosité avec une approche plus sobre et un cantabile plus chantant.
Les Miroirs de Ravel sont plus directs et ne souffrent pas de ces excès de rubato. Beatrice Rana ne cherche pas à jouer la carte d’un impressionnisme déplacé. Comme le faisait en son temps un Michelangeli dans Debussy, sa conception de la musique française cherche élégance et clarté. Son utilisation de la pédale est un modèle de discrétion. La Barque sur l’océan, sommet de cette soirée, trouve un équilibre entre précision et expression. Alborada del gracioso est dynamique et élégant sans esbroufe (et saluons à cette occasion le plaisir d’avoir dans la salle un public silencieux et attentif qui sait qu’il y a encore une pièce dans le cycle et n’applaudit pas). Les autres pièces plus modernes sont rayonnantes.
C’est une surprise que d’entendre les trois derniers tableaux de L’Oiseau de feu de Stravinsky au piano. Contrairement à Pétrouchka, cette transcription est due non pas à Stravinsky mais à Guido Agosti. Beatrice Rana prend cette œuvre de démonstration à bras-le-corps. On ne peut qu’être impressionné par l’énergie de la pianiste et par la qualité de cette partition, qui rend justice au tissu harmonique de l’œuvre. Voici cette année la troisième exécution de cette pièce de Stravinsky après l’Orchestre de la Suisse romande et Jonathan Nott puis l’Orchestre symphonique de Canton et Tan Dun et malgré la « concurrence », ce n’est pas la moindre.
Très applaudi par un très bon public, ce beau récital se conclut par deux bis, le Treizième des Préludes de l’Opus 28 de Chopin et surtout le brillantissime Seizième, croqué avec l’appétit de la jeunesse.
Antoine Lévy-Leboyer
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