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«La Mort est toute-puissante»

Strasbourg
Palais de la musique et des congrès
01/31/2019 -  et 1er février 2019
Joseph Haydn : Symphonie n° 49 en fa mineur, « La Passion »
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 14 en sol mineur, opus 135

Ekaterina Bakanova (soprano), Dimitry Ivashchenko (basse)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (direction)


E. Bakanova, D. Ivashchenko (© Georg List/Wolfgang Silveri)


La dernière fois qu’on se souvient d’avoir entendu la Quatorzième Symphonie de Chostakovitch en concert, c’était avec Júlia Várady et Dietrich Fischer-Dieskau. C’est dire la rareté de l’ouvrage, mais aussi le caractère marquant d’un tel souvenir, que l’on garde encore très précisément en mémoire plus de trente ans après. Ce concert de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, deuxième étape du cycle Chostakovitch proposé par Marko Letonja, nous marquera-t-il autant ? Malheureusement non, et ce malgré la grande qualité de l’ensemble de chambre d’un peu plus de vingt musiciens issus de l’orchestre, qui se sont fédérés autour de ce projet avec beaucoup d’enthousiasme et d’engagement. L’ambiance, morbide et obsessionnelle à souhait, est tout à fait bien rendue, les couleurs sont plutôt variées et l’intensité de la battue du chef ne tolère aucune baisse de tension. Le problème est qu’on ne nous donne pas toutes les clés pour faciliter l’audition d’une œuvre qui reste quand même d’un abord ardu.


Créée en 1969 à Moscou, cette symphonie vocale l’a été certes chantée en russe, mais le compositeur a autorisé ensuite assez vite une version allemande et en troisième lieu une version où tous les poèmes peuvent être conservés dans leur langue originale, donc espagnol (Lorca), allemand (Brentano et Rilke) et français (Apollinaire). C’est pour cette dernière version qu’avaient opté Várady et Fischer-Dieskau et c’est celle qui nous paraît la plus idoine, car au delà du caractère profondément russe cette symphonie, il ne faut pas oublier qu’elle a été immédiatement importée ensuite à l’Ouest par Benjamin Britten, qui la créa au Festival d’Aldeburgh dès 1970, et qu’il y a dans cet ouvrage une modernité cosmopolite qu’il faut faire ressentir aussi. Or ici, avec deux chanteurs russophones et un texte incompréhensible (ni surtitrage, ni traduction des poèmes dans le programme de soirée, ce qui est une erreur stratégique impardonnable), on ressent surtout cette symphonie comme épigonale des Chants et dans de la mort de Moussorgsky, ce qui est évident mais pas suffisant. Et a fortiori quand on on a engagé une basse russe somptueuse (Dimitry Ivashchenko), mais qui n’est que cela, et jusqu’à la caricature : un organe énorme et impavide, au timbre constamment saturé d’harmoniques graves au point que souvent il devient impossible d’en apprécier la justesse d’intonation, et qui nous déroule une interminable paraphrase de Boris Godounov. On s’intéresse davantage à Ekaterina Bakanova, soprano beaucoup plus captivante par les nuances et les caractérisations de ses interventions. On s’étonne un peu des emplois habituels de la dame – d’après la notice biographique: Violetta, Donna Anna, Pamina... des rôles qu’elle doit passablement chahuter avec des moyens aussi imposants – mais ici c’est parfait, avec toujours la réserve d’une barrière linguistique qui nous prive malheureusement de beaucoup d’émotions. En termes plus concrets, écouter quelqu’un chanter «– Madam, posmotrite!/Poteryali vichto-to.../– Akh! Pustyaki! Eto serdtse moyo,/Skoreye yen podberite.», c’est certes de prime abord fort musical et exotique, mais «– Madame écoutez-moi donc/Vous perdez quelque chose /– C’est mon cœur, pas grand-chose /Ramassez-le donc» induirait immédiatement une adhésion beaucoup plus forte. On ne fait évidemment pas le procès de la langue originale en général, mais dans ce cas particulier, et vu les difficultés d’appréhension d’un tel ouvrage, il fallait peut-être mieux anticiper, pour prévenir ce qui ressemble fortement à un échec, du moins dans la réception : un public assoupi voire anesthésié, assez généralement déconcerté, dans une salle de surcroît fort peu remplie.


Association pertinente avec la Quarante-neuvième Symphonie de Haydn, dite La Passion en première partie. Tonalité mineure, austérité marquée, le religieux s’invite ici de façon patente dans le propos symphonique, même si le titre, attribué à posteriori, paraît trop directif. L’enjeu pour un orchestre moderne, même en formation réduite, reste de retrouver des couleurs voire une éloquence (on est en plein dans une période très Sturm und Drang dans la production de Haydn, ambiance manquée de fortes tensions expressives que l’on retrouve également dans les Quarante-quatrième, Quarante-cinquième, Quarante-huitième, Cinquante-sixième...) sans qu’il en découle ni lourdeur ni systématisme de l’approche. Marko Letonja s’y emploie courageusement (en n’éludant même pas l’écueil d’effectuer toutes les reprises dans l’Adagio) mais l’empois des techniques d’archet modernes pèse quand même beaucoup. Et doubler continuellement la basse par un basson (un emploi apparemment fatigant, même pour un soliste aussi chevronné que Jean-Christophe Dassonville) aère moins le tissu musical qu’il n’introduit dans les mouvement rapides une sorte de perpétuel staccato relativement agaçant à la longue. De même, le clavecin, licite, est-il vraiment utile ? Il apporte des couleurs supplémentaires mais finalement le rôle historique de la basse, destiné à assurer à l’ensemble une cohésion motrice, se transforme surtout ici en décoration, le jeu de la claveciniste suivant strictement la battue du chef au lieu d’induire lui-même une pulsation. Une belle exécution, mais où l’ennui pointe de temps à autre le bout de son nez.



Laurent Barthel

 

 

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