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La La Land tragique

Vienna
Staatsoper
12/08/2018 -  et 11, 14, 16, 20* décembre 2018
Johannes Maria Staud: Die Weiden (création)
Rachel Frenkel (Lea), Thomas Konieczny (Peter), Thomas Ebenstein (Edgar), Andrea Carroll (Kitty), Monika Bohinec (La mère de Léa), Herbert Lippert (Le père de Léa, Le pêcheur), Donna Ellen (La mère de Peter), Alexandru Moisiuc (Le père de Peter), Wolfgang Bankl (Le démagogue, Le garde forestier), Katrina Galka (Fritzi), Jeni Houser (Frantzi), Udo Samel (Krachmeyer), Sylvie Rohrer (La reportrice de télévision), Vitan Bozinovski (Le réfugié), Selina Ströbele (Le cadavre), Gregor Buchhaus (Le cameraman)
Chor der Wiener Staatsoper, Thomas Lang (chef de chœur), Bühnenorchester der Wiener Staatsoper, Orchester der Wiener Staatsoper, Ingo Metzmacher (direction musicale)
Andrea Moses (mise en scène), Jan Pappelbaum (décors), Kathrin Plath (costumes), Bernd Purkrabek (lumières), Arian Andiel (vidéo), Michael Acker, Sven Kestel (effets sonores électroniques)


T. Ebenstein, A. Carroll, R. Frenkel, T. Konieczny
(© Wiener Staatsoper GmbH/Michael Pöhn)



La précédente création mondiale réalisée au Staatsoper remonte à 2010: Médée, du berlinois Aribert Reimann, a depuis été repris avec succès à Francfort, Vienne et Berlin. Huit ans plus tard, il s’agit d’une commande à un jeune compositeur autrichien (Johannes Maria Staud, 44 ans), qui signe un troisième opéra au côté de son librettiste habituel, Durs Grünbein. Le spécialiste de la musique contemporaine Ingo Metzmacher étant la baguette, la mise place instrumentale et vocale est tenue impeccablement tout le long des six tableaux, des quatre passages, du prologue, du prélude et de l’interlude qui forment l’œuvre – un total de deux heures et trente minutes.


L’histoire se fonde sur l’excursion en canoë de Léa (Rachel Frenkel), une jeune philosophe juive américaine, qui l’amène à traverser les contrées dont ont dû s’exiler autrefois ses parents. Les scènes se font de plus en plus hallucinantes et sordides, rappelant avec insistance la légende exposée lors des premières minutes, contant la métamorphose d’individus en carpes – symbolisme de l’antisémitisme et plus généralement du rejet des différences identitaires par les sociétés nationalistes.


L’effectif instrumental est gigantesque, la fosse parvenant à peine à accueillir la totalité des musiciens, complété en outre par un orchestre de scène ainsi que par une console électronique; le traitement orchestral, en revanche, est le plus souvent minimaliste. Ainsi la musique passe souvent en arrière-plan, servant à évoquer avec beaucoup d’efficacité les atmosphères sous-jacentes des scènes, à grand renfort de transformations électroniques particulièrement aptes à caractériser les changements de qualité de l’eau, faisant du fleuve le véritable personnage central non crédité de l’œuvre. En dehors de ces séquences sonores que l’on pourrait qualifier d’ambiance (sans connotation péjorative), le compositeur intègre de multiples éléments stylistiques empruntés au jazz, à la musique klezmer et pop, insérant parfois des citations wagnériennes textuelles lorsqu’il s’agit de souligner les relents antisémites. Grâce à la minutie apportée à la mise en scène, les transitions rythment le déroulement de l’action sans en faire perdre la cohérence et lui donnant un ton de comédie musicale contemporaine et tragique.


Les chanteurs sont tous excellents: Rachel Frenkel (Léa), omniprésente et inépuisable; son compagnon du moment (Tomasz Konieczny), qui cultive dans le personnage de Peter une ambivalence intrigante, la brute affleurant sous le vernis de l’artiste; Andrea Carroll, vocalement resplendissante dans le rôle de Kitty. Les rôles parlés sont plus discutables, en particulier Udo Samel qui incarne Krachmeyer, une sorte de compositeur gourou malfaisant, imposant scéniquement mais débitant son texte d’un ton blafard, la vitesse neutralisant la projection de la voix – résultat peut-être d’un choix artistique assumé, mais risqué, visant à introduire une dose de malaise dans des scènes en apparence plus détendues.


Il y a dans cet opéra un somme de détails qui peuvent au premier abord passer pour superflus, car restant peu exploités dans la poursuite de l’intrigue, ou de clichés qui semblent épaissir le trait; loin d’être un défaut, cela nous a paru au contraire renforcer le parti pris de réalisme contemporain. En replaçant l’action au sein d’une société désinvolte, plongée dans un flux d’information obsédé par le spectacle du temps réel (symbolisé entre autre par la reportrice de télévision, Sylvie Rohrer), l’impact des thèmes du livret en sort renforcé, et trouve une résonnance dérangeante pour le public: ces hallucinations décrivant un retour au nationalisme des années 1930 ne sont-elles pas en train de prendre racine sous nos yeux, de manière insidieuse dans la vie réelle, se diffusant dans tous les aspects de la vie quotidienne? D’autant que le fleuve et les pays traversés font référence de manière très transparente au Danube et à l’Autriche. Ce mélange d’hyperréalisme et de surréalisme est au fond très attrayant, donnant l’impression d’assister à un spectacle à la croisée d’un documentaire, reality show, reportage télévisé et comédie musicale – assez loin de la préconception qu’on pouvait avoir au sujet d’un opéra contemporain. Un résultat plus subversif qu’il y paraît en première analyse.



Dimitri Finker

 

 

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