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Turandot: la statique et la dynamique

Madrid
Teatro Real
11/30/2018 -  et 3, 5, 6, 8, 9, 11, 12, 15, 16, 19*, 20, 23, 26, 27, 29, 30 décembre 2018
Giacomo Puccini: Turandot
Irene Theorin/Oksana Dyka* (Turandot), Gregory Kunde/Roberto Aronica*/Jae-Hyoeung Kim (Calaf), Yolanda Auyanet/Miren Urbieta-Vega* (Liù), Andrea Mastroni/Giorgi Kirof* (Timur), Raúl Giménez (L’Empereur Altoum), Joan Martín-Royo (Ping), Vicenç Esteve (Pang), Juan Antonio Sanabria (Pong), Gerardo Bullón (Un mandarin)
Coro Titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), Andrés Máspero (chef de chœur), Pequenos Cantores de la JORCAM, Ana González (chef de chœur), Dan Thomas (vihuela), Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Nicola Luisotti (direction musicale)
Robert Wilson (mise en scène, décors, lumières), Jacques Reynaud (costumes), Tomek Jeziorski (vidéo)


O. Dyka (© Teatro Real/Javier del Real)


On dit Robert Wilson, on parle de stylisation. Certes, il est vrai que même le réalisme, même le naturalisme sont des stylisations. Mais à l’opéra, quelque chose de semblable ou même de proche du réalisme est-il possible? La théâtralité la plus invraisemblable peut-elle avoir un rapport même fugace avec la stylisation réaliste? Wilson a ses propres réponse depuis longtemps, on les connaît, ses mises en scène en forme de cérémonies, de statuaires, voire de hiératisme, un rejet des gestes naturels (la mort de Liù, dans cette mise en scène de Turandot, avec Liù debout, béatifique...!). Cela conditionne une chorégraphie de tous les gestes, des personnages principaux, bien sûr, mais aussi de cette masse-là, le chœur, dont le déplacement est toujours dangereux: le danger de la pluralité du quotidien à l’intérieur de l’unicité du chant. Ainsi, on préfère un chœur limité en nombre, plus adapté à la chorégraphie des mouvements appuyés sur la ligne de chant; le chœur joue autour du drame des personnages principaux, tous ses gestes sont marqués. Wilson échappe au piège que certains metteurs en scène proclament avec l’expression fallacieuse de «liberté des interprètes». On ne proclame pas la liberté, on ne la réclame pas, pour éviter le compromis avec l’esthétique inflexible de l’opéra. Enfin, l’«esthétique Wilson», si appropriée à l’opéra, est peut-être moins conforme au théâtre purement dramatique. Mais une telle controverse est loin de la prétention de ces lignes informatives.


La mise en scène de Wilson n’est pas toujours belle, il ne cherche pas cela; les costumes de Jacques Reynaud sont, souvent, d’une laideur manifeste; mais les lumières sont utilisées d’une façon étonnante; les décors sont suggérés, insinués, comme toujours chez Wilson: le cyclorama, des panneaux mouvants, quelques petites projections, les lumières faisant partie de la scénographie. Le résultat: un spectacle difficile à surpasser, malgré tout, malgré quelques détails; une solution tout à fait différente de l’énigme du dernier Puccini.


On a vu la seconde distribution. Les éloges à propos de la première conseillaient de voir l’autre, et on a vu la seconde distribution... heureusement. Comme d’habitude à l’opéra, Turandot est une histoire avec un trio et un chœur. L’Ukrainienne Oksana Dyka, voix puissante et capable de changer de registre et de répertoire (Tosca, Jenůfa, les héroïnes de La Dame de pique ou du Prince Igor), campe une implacable princesse dans cette vision improbable de la fable de Gozzi. Dramatique, lyrique, lancinante, blessante princesse dont les charmes dangereux menacent l’intégrité du prétendant; avec la ligne de Dyka, on est encore plus convaincu du désastre de Calaf après la fin de l’action dramatique, après cet incertain duo d’amour. Calaf, le héros, a été incarné par la voix aussi puissante, aussi défiante, du Romain Roberto Aronica, un équilibre vigoureux entre la statique de Wilson et la dynamique du prince clandestin et possédé par une passion visionnaire. Un équilibre, certainement, mais pas du tout délicat; plutôt, une tension salutaire. Malgré la longueur de son rôle, Aronica ne s’est pas du tout ménagé: incarnant pleinement Calaf dès le premier instant, il est parvenu à donner corps à la destinée du prince avec une forte émission passionnée.


Et, dans une autre sorte d’équilibre, on a Liù, avec la voix lyrique, délicate, de Miren Urbieta-Vega, soprano espagnole de Saint-Sébastien, jeune belcantiste (Mozart, Donizetti) dont l’interprétation de l’esclave immolée est d’une perfection qu’on connaissait déjà par ses succès dans le même rôle à Bilbao et Valence. Et en quatrième protagoniste bien assorti, le Timur de Giorgi Kirof, basse bulgare dans la tradition des grandes voix graves slaves.


Le ténor argentin Raúl Giménez, bien connu comme rossinien, joue l’Empereur d’une façon plus majestueuse que d’habitude, par la voix et par la posture (sur un trône suspendu du ciel). Les rôles de Ping, Pang et Pong sont des restes de l’ancienne comédie italienne, source ou prétexte dans les farces de Gozzi. Ils sont bien servis du point de vue vocal par Joan Martín-Royo, Vicenç Esteve et Juan Antonio Sanabra, et ils sont plus sinistres que drôles; c’est légitime, mais pas tant que cela si l’on perçoit que, en plus, on veut être drôle. On ne doit pas négliger le rôle du Mandarin, dont l’appel «Popolo di Pekino» est une des phrases emblématiques de l’opéra, un rôle chanté avec une grande dignité par Gerardo Bullón.


Mais un des personnages importants de Turandot est aussi le chœur. Limité, comme on l’a déjà indiqué, le chœur, dirigé par Andrés Máspero, agit comme un collectif emporté, dont les crescendos sont émouvants, dont les peurs et les espoirs sont exprimés avec passion. Encore une fois, c’est une réussite pour le chœur de Máspero, aidé ici par le chœur d’enfants dirigé par Ana González, dans la fonction qui lui est assignée.


Dans la fosse, Nicola Luisotti a forcé l’icône de Wilson, et il a offert le pathos absent dans la mise en scène. Ce n’est une contradiction, mais un équilibre qui marche très bien dans ses fonctions purement théâtrales et lyriques: inattendu? Peut-être, mais le mariage de pathos autolimité et de hiératisme antiréaliste n’est pas une formule tout à fait nouvelle. La difficulté d’y réussir est une question différente. Luisotti, le chœur, les solistes et Wilson ont réussi cette fois-ci avec une solution qui n’est jamais une formule.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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