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Hamlet à l’Opéra Comique… la (très) bonne musique de M. Ambroise Thomas

Paris
Opéra Comique
12/17/2018 -  et 19, 21, 23, 27, 29 décembre 2018
Ambroise Thomas : Hamlet
Stéphane Degout (Hamlet), Sabine Devieilhe (Ophélie), Laurent Alvaro (Claudius), Sylvie Brunet-Grupposo (Gertrude), Julien Behr (Laërte), Jérôme Varnier (Le Spectre), Kevin Amiel (Marcellus, Second fossoyeur), Yoann Dubruque (Horatio, Premier fossoyeur), Nicolas Legoux (Polonius)
Chœur Les éléments, Joël Suhubiette (chef de chœur), Orchestre des Champs-Elysées, Louis Langrée (direction musicale)
Cyril Teste (mise en scène), Ramy Fischler (décors), Isabelle Deffin (costumes), Leila Adham (dramaturgie), Julien Boizard (lumières), Nicolas Dorémus, Mehdi Toutain-Lopez (conception vidéo)


(© Stéfan Brion)


Garnier cessa de l’afficher après 1938. Le dernier Hamlet parisien, c’était au Châtelet en 2000 – une production toulousaine. L’opéra d’Ambroise Thomas, en effet, a reconquis la province... et de grandes scènes internationales, dont le Met. De quoi rappeler que la partition ne se réduit pas à la Chanson bachique du deuxième acte, très flatteuse pour les barytons, ou à la scène de folie d’Ophélie du troisième, un des chevaux de bataille des sopranos coloratures. Hamlet est un chef-d’œuvre, grand opéra certes, mais intimiste aussi, où la musique va au cœur de la conscience torturée des protagonistes avec une justesse et une subtilité qui démentent l’assassine formule de Chabrier : « Je ne connais que trois sortes de musique, la bonne, la mauvaise et celle de M. Ambroise Thomas. »


Il suffit, pour s’en convaincre, d’aller voir la production de l’Opéra Comique. Et, d’abord, d’aller l’écouter. On le savait depuis la production genevoise de 1996 : Louis Langrée est le chef qu’il faut pour Hamlet. Parce qu’il a le sens du théâtre, sait maintenir une tension, aussi à l’aise dans la pompe des grands ensembles, remarquablement tenues, que dans le raffinement des scènes d’atmosphère – vapeurs blafardes de la première scène du cimetière, poésie vaporeuse des voix invisibles à la fin du quatrième acte. L’unité de la partition, au-delà des numéros, apparaît non seulement préservée, mais renforcée. Tout cela tient aussi au déploiement, dès le début du premier acte, d’une palette de couleurs qui fait voir l’œuvre à travers les notes, autant que la mise en scène de Cyril Teste.


Nouveau venu à l’opéra, l’homme de théâtre se signale d’abord par une direction d’acteur dont la force tient à sa sobriété, d’un statisme éloquent, comme si chacun était enfermé en lui-même, prisonnier de ses propres tourments – ce qu’il fait d’Hamlet est saisissant. Mais le recours perpétuel à la vidéo, en direct ou en différé, censé approfondir le propos, se retourne parfois contre lui. Elle peut en effet créer un « espace mental » quand se projettent en gros plan les visages du roi défunt ou de son frère, qui obsèdent le jeune prince. Mais la reproduction de ce qu’on voit sur scène sent le déjà-vu – souvenons-nous du triste Boris d’Ivo van Hove – et l’image des vagues, au moment de la mort d’Ophélie, rappelle de trop près le travail de Bill Viola pour Tristan et Isolde. Quant à confondre la salle, la scène, les coulisses, le foyer et les escaliers, avec des techniciens devenus personnages du drame, c’est reformer des couples presque vieillissants. Lorsque le roi et la reine, au début, arrivent du fond de la salle sous les flashs des photographes, on a aussi l’impression de revoir un peu le Don Carlos viennois de Peter Konwitschny... Et l’on ne croit pas beaucoup à ce Spectre assis parmi les spectateurs, à cette Ophélie noyant son chagrin au bar du foyer, titubant sur les escaliers avant d’entrer en scène. Bref, Cyril Teste signe une production brillante mais parfois éclatée et surchargée, où la mise en abyme consubstantielle à la tragédie shakespearienne peut tourner court – comme dans le final du deuxième acte.


Il réussit en tout cas à créer, au milieu d’un décor à l’abstraction design, de vrais personnages, de chair et de sang, les chanteurs se prêtant magnifiquement au jeu. Stéphane Degout, ainsi, incarne un Hamlet extraordinaire, hagard, introverti jusqu’à l’autisme, qu’il murmure souvent sans jamais émousser la puissance des mots, comme s’il chantait une mélodie, avec timbre et phrasé de velours jusque dans la Chanson bachique. On retrouve Sabine Devieilhe telle qu’en elle-même, (sur)aigu cristallin mais medium projeté, colorature déliée mais ligne souveraine, Ophélie plus lumineuse, moins névrosée que celle de Natalie Dessay, dont la scène de folie exhale l’innocence blessée. N’étaient un ou deux aigus problématiques, Sylvie Brunet ressuscite les grands mezzos français d’autrefois, au médium et au grave de charnus, à l’articulation impeccable, au tempérament de tragédienne : elle est Gertrude, percluse de remords, bête aux abois – le duo avec Hamlet, vocalement et scéniquement, fait passer des frissons. Laurent Alvaro n’est pas moins Claudius, malgré un voile sur les aigus, vraie basse chantante à la voix de bronze, ravagé lui aussi par la mauvaise conscience, superbe d’intériorité dans son air du troisième acte. Jusqu’au plus petit rôle, les personnages secondaires sont exemplaires, à commencer par le Spectre abyssal de Jérôme Varnier - le Laërte de Julien Behr tend seulement un peu ses aigus. Le chœur est parfait. Pour l’opéra français, Favart, une fois de plus, l’emporte sur Bastille.



Didier van Moere

 

 

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