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Célébration Cziffra

Beauvais
Senlis (Chapelle Saint-Frambourg)
11/16/2018 -  et 17*, 18* novembre 2018




Avec quatre magnifiques concerts et la finale du Concours Cziffra, le festival SenLiszt 2018 consolide sa position de grand festival de piano français. Isabelle Oehmichen, directrice artistique et remarquable pianiste, nous offrait, avec énergie et passion, un festival de haute tenue où les anciens et les plus jeunes lauréats de la Fondation s’unissaient pour poursuivre le vœu le plus cher de Georges Cziffra. Gérard Bekerman, président de la Fondation, ne cachait pas son plaisir à la fin de ce festival et rendait un chaleureux hommage à sa directrice artistique qui a su préserver l’esprit de «famille» unissant public, interprètes, membres du jury et bénévoles dans cette célébration musicale et pianistique autour de la personnalité rayonnante de Cziffra, magnifiée par l’élévation spirituelle de la chapelle Saint-Frambourg.


16 novembre, 20 heures
Johann Sebastian Bach: Concertos pour deux claviers en ut mineur, BWV 1060 [1], et en ut mineur, BWV 1062 [2] – Concerto pour clavier n° 5 en fa mineur, BWV 1056 [3]
Frédéric Chopin: Concerto pour piano n° 1 en mi mineur, opus 11 [4]

Gérard-Marie Fallour et Eric Astoul [1], Julie Alcaraz et Herbert du Plessis [2], Arielle Beck [3], János Balász [4] (piano), Quatuor Monarchie de Budapest, Andreas Schuster, Eva Benkö (violons) István Kerek (alto), Ottó Kertész (violoncelle)


Unis dans une même esthétique, les duos de pianistes et le Quatuor Monarchie abordent ces deux concertos de Bach dans un style très classique. Le texte pur, à l’ornementation dépouillée, est servi par des tempi raisonnables, une grande stabilité rythmique alliée à une mise en place remarquable et une belle homogénéité de son. L’on découvre la jeune pianiste Arielle Beck, âgée de 9 ans, qui vient d’obtenir le Premier Grand Prix à l’unanimité au Concours Jeune Chopin et dont la maturité artistique, l’assurance, la musicalité et une réelle jubilation à jouer nous enchantent.


János Balász aborde le Premier Concerto de Chopin avec des partis pris passionnants, quitte à remettre en cause la tradition. Plus éclatante qu’intime, plus virtuose que confidentielle, l’interprétation du jeune pianiste hongrois se remarque par une vitalité incisive convenant parfaitement à cette œuvre de jeunesse écrite en 1830, âge d’or du piano virtuose marqué par Alkan, Thalberg, Moscheles et Kalkbrenner à qui elle est dédiée. Même si le son est parfois un peu cru, les attaques ardentes, on goûte sans mélange le brio de l’Allegro maestoso, les confidences éloquentes du Larghetto, d’où ressortent parfois des contrechants souvent tus, le chic et le panache du Rondo empreint d’un relief folklorique excitant. En bis, la Valse en ut dièse mineur (opus 64 n° 2), jouée avec une rare émotion, tout en demi-teinte et en sonorités raffinées, nous montre que János Balász sait également plonger au cœur de l’expression chopinienne.


17 novembre, 15 heures
Franz Liszt: Années de pèlerinage (Troisième année), S. 163: 4. «Les Jeux d’eaux à la Villa d’Este» – Harmonies poétiques et religieuses, S. 173: 7. «Funérailles» – Rhapsodie hongroise n° 6, S. 244 n° 6. – Années de pèlerinage (Deuxième année: Italie), S.161: 6. «Sonetto CXXIII del Petrarca» – Rêve d’amour n° 3, S. 541: 3. – Paraphrase sur «Rigoletto» de Verdi, S. 434
Frédéric Chopin: Ballade n° 3 en la bémol majeur, opus 47
Robert Schumann: Widmung, opus 25 n° 1 (arrangement Liszt, S. 566)
Johannes Brahms: Danse hongroise n° 6 (arrangement György Cziffra)
György Cziffra: Paraphrase sur «La Chauve-Souris»Paraphrase sur «Le Beau Danube bleu»
Franz von Vecsey: Valse triste (arrangement György Cziffra)

János Balász (piano)


On peut rendre grâce à Isabelle Oehmichen d’avoir invité le pianiste János Balász. Artiste de renommée internationale, Prix Franz Liszt, fondateur du grand Festival György Cziffra à Budapest, l’interprète affiche sa proximité spirituelle et technique avec Cziffra. Quasiment inconnu en France, sa présence très légitime éclaire de sa personnalité musicale hors du commun la programmation du Festival. Le «style» Cziffra coule dans les veines de ce jeune pianiste, non par mimétisme creux ou imitation superficielle, mais bien par les gènes magyars. L’histoire est belle et vaut d’être contée. Qui connaît la vie de Cziffra sait qu’il dut, pour gagner sa vie dans les années 1950, jouer dans les bars de Budapest. Parmi ses partenaires, il rencontre un violoncelliste qui est le grand-père de János Balász. Elevé dans ce souvenir, le jeune garçon est fasciné par les enregistrements de Cziffra et n’a de cesse, depuis, de lui rendre hommage.


C’est avec une technique exaltante, mais pas gratuite, des sentiments nobles, des élans chevaleresques et généreux, une sensibilité maîtrisée et une proximité organique avec la musique de Liszt et les transcriptions de Cziffra que le pianiste nous est apparu lors de ce récital. Sur cette scène où Cziffra joua tant de fois, enregistra également «ses» Danses hongroises de Brahms, sur ce piano même, János Balász était exactement à sa place et son émotion était palpable.


A quelques exceptions près, ce programme pouvait être celui de son illustre modèle. Des «Jeux d’eau à la Villa d’Este» souples, amples, frémissants et sensibles; des «Funérailles» intenses et bouleversantes, impérieuses où l’orage des octaves ne souffrait d’aucune faiblesse; une Sixième Rhapsodie sortie de quelque orchestre tzigane, fière et ivre d’un élan jubilatoire; «Sonnet de Pétrarque» et Rêve d’amour unis dans la même émotion, le beau phrasé, l’inspiration, le toucher soyeux et le lyrisme maitrisé.


Lorsqu’en 1958 paraît «Transcriptions, Paraphrases et Improvisations» (VSM- FALP 501), cet enregistrement fait l’effet d’une bombe dans le monde discographique. Cziffra y montre son art inné et insolent de l’improvisation. Rappelons qu’il commence ses apparitions en public en brodant, à l’âge de cinq ans, sur des thèmes populaires lancés par les spectateurs dans un petit cirque ambulant. C’est avec ces improvisations fulgurantes que, plus tard, le public le suivait de bar en bar dans les nuits de Budapest. Longtemps restées inédites, ces œuvres n’appartenaient qu’à lui, mais il n’en abusait pas en concert; ici où là, dans le début de sa carrière trouve-t-on quelque «Vol du bourdon» ou «Danse du sabre». Editées en deux volumes (1995 et 2000), par les pianistes István Kassai et Gábor Eckhart, elles sont désormais accessibles à ceux qui peuvent les jouer...


Sous les doigts de János Balász, ces pages renaissent miraculeusement. De même que la virtuosité la plus débridée était d’abord pour Cziffra l’expression d’une ivresse musicale conjoncturelle aux œuvres et non un but en soi, le jeune pianiste hongrois aborde ces défis pianistiques avec le même esprit. Légèreté, souplesse, plans sonores et surtout énergie rythmique dans un style incomparable avec des timings, des rubatos inouïs, une prédilection pour les basses incisives du piano, nous laissant parfois en état d’apesanteur. Plus royaliste que le roi, János Balász se permet même quelques coquineries supplémentaires, rajoutant d’effrayantes difficultés dans ces pages injouables pour le commun des pianistes.


Une longue standing ovation ramenait à de nombreuses reprises le pianiste sur scène qui offrait en bis, comme une prière, l’un des plus beaux Nocturne en ut dièse mineur (opus posthume) qu’il nous soit permis d’entendre.


18 novembre, 15 heures
Maurice Ravel: Miroirs
Claude Debussy: Estampes
Frédéric Chopin: Impromptus n° 2 en fa dièse majeur, opus 36, et n° 3 en sol bémol majeur, opus 51
Franz Liszt: Trois Etudes de concert, S. 144: 2. «La Leggierezza»
Isaac Albéniz: Iberia (Premier Cahier)

Maroussia Gentet (piano)


Déjà remarquée lors de Concours Cziffra 2017, où elle obtenait un Premier Prix, Maroussia Gentet offrait un récital d’une beauté esthétique rare. Dans ce programme extrêmement bien choisi où palpitaient toutes les brises et les liquidités de Ravel et de Debussy mises en parallèle avec Chopin et Liszt qui les ont inspirés, la présence d’Albéniz complétait ces correspondances picturales qui séduisaient l’auditeur.


La pianiste aborde Debussy avec précision, nous faisant grâce de la tradition qui enveloppe le compositeur des deux pédales sous prétexte de créer un flou artistique «impressionniste». Les contours sont clairs, le toucher extrêmement varié, le son travaillé au pinceau, les couleurs et les ambiances évocatrices, la sensibilité à l’écriture modale très présente. Maroussia Gentet illustre parfaitement le propos de la fille de Debussy, Chouchou, qui, alors qu’Alfred Cortot, après la mort du compositeur, interprète des morceaux de son père en sa présence demande si le compositeur les jouait de cette manière lui répond: «Papa écoutait davantage»...


Avec Ravel, la magie sonore se poursuit, l’ensemble du cycle baigne dans de subtiles évocations de la nature, avec des pédalisations raffinées et dans un souci constant de dosage et de couleurs sonores si bien servies par une technique et une oreille supérieures. «Oiseaux tristes» d’une impalpable nostalgie, «Alborada» incisif et capricieux à souhait, le temps était suspendu dans cette étude de timbre qu’est «La Vallée des cloches».


Dans la même intimité et l’expression la plus chantante pianistiquement, les deux Impromptus de Chopin, ceux que le compositeur préférait selon son élève Wilhelm von Lenz, d’une sensibilité poétique touchante, dévoilent leurs secrets dans le grand legato si cher au compositeur.


Semblablement, «La Leggierezza» déroule sa trame et poursuit sa course effrénée dans la douceur, l’agilité, l’égalité et la délicatesse, rompues par un brillant et virtuose épisode embrasant un temps l’espace.


Avec Albéniz, que Maroussia Gentet aborde dans le même souci d’un jeu axé sur les résonnances, les ressources acoustiques, les différents timbres d’un piano subtil, la pédale ciselée et une qualité de son absolument exemplaire toujours exprimé avec sérénité et contemplation, la matière sonore et l’écriture diffèrent cependant. Bien que l’on ait goûté tout le premier cycle d’Iberia, on se prenait à penser que la pianiste n’incarnait pas assez les profondes racines folkloriques du compositeur, qu’il fallait payer de sa chair et de son sang ces pages intenses. Si Debussy et Ravel peuvent se concevoir comme des aquarelles, Albéniz a besoin de densité, c’est une gouache épaisse, une musique incarnée.


En bis, «Ondine» de Debussy reflétée avec tant de vérité. Maroussia Gentet est Ondine.


18 novembre
Franz Schubert: Quintette à cordes en ut majeur, D. 956
Ernö Dohnányi: Quintette pour piano et cordes n° 1 en do mineur, opus 1

Quatuor Monarchie de Budapest: Andreas Schuster, Eva Benkö (violons) István Kerek (alto), Ottó Kertész (violoncelle) – Ladislav Szathmary (violoncelle) Isabelle Oehmichen (piano)


Le concert de clôture, consacré à la musique de chambre, nous permit de goûter la célèbre page de Schubert et, pour beaucoup, de s’émerveiller devant la musique de Dohnányi dont on a peine à imaginer qu’elle demeure à ce point méconnue, spécialement auprès du public français.


On découvrait à cette occasion Ladislav Szathmary, magnifique violoncelliste à la personnalité rayonnante, fort de grands succès internationaux comme chambriste auprès de nombreuses formations ainsi que comme soliste. Il tint une place remarquable au sein du Quintette de Schubert. Musicien sensible, à la sonorité généreuse, au style très fin avec une belle technique au service d’une musicalité sans faille, il joue parfaitement son rôle particulier au sein de cette œuvre immense et bouleversante et chante avec un grand lyrisme. Ici, il accentue de son beau timbre l’aspect sombre de l’œuvre, là, il s’intègre dans la masse du quatuor, qui donna son maximum pour en livrer une dimension quasi orchestrale.


Composé en 1895, alors que le compositeur n’avait que 18 ans, le Premier Quintette de Dohnányi, œuvre dense, inspirée, généreuse, mérite de prendre place au panthéon des grandes œuvres de musique de chambre du romantisme finissant. Brahms ne s’y était pas trompé, d’ailleurs, en recommandant l’œuvre auprès de l’éditeur Simrock. Isabelle Oehmichen en exprime toute la force, le lyrisme, en souligne les accents hongrois, aère les thèmes par d’amples respirations Le Quatuor Monarchie, avec notamment un très bel Adagio, soutient l’œuvre dans toute son exubérante émotion.



Christian Lorandin

 

 

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