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Tarare, le brûlot de Beaumarchais et Salieri

Paris
Philharmonie
11/28/2018 -  et 22 (Versailles), 24 (Wien) novembre, 9 décembre (Caen) 2018
Antonio Salieri: Tarare
Cyrille Dubois (Tarare), Karine Deshayes (Astasie), Jean-Sébastien Bou (Atar), Judith van Wanroij (La Nature, Spinette), Enguerrand de Hys (Calpigi), Tassis Christoyannis (Arthénée, Le Génie du feu), Jérôme Boutillier (Urson, Un esclave, Un prêtre), Pierre-Nicolas Martin (Altamort, Un paysan, Un eunuque)
Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, Fabien Armengaud (chef de chœur), Les Talens Lyriques, Christophe Rousset (direction)


C. Rousset (© Ignacio Barrios Martinez)


Après Les Danaïdes et Les Horaces, Tarare: Christophe Rousset met un point final à la trilogie française de Salieri, le méconnu et le méjugé – notamment à cause de ces stupides légendes à propos de Mozart, qu’il n’a d’ailleurs jamais empoisonné. L’œuvre vaut d’abord pour son livret, écrit par Beaumarchais lui-même. Un brûlot contre le système politique et la société de l’époque, sous couvert de cet exotisme qu’on prisait tant – il emprunte à un conte d’Anthony Hamilton. Voici dénoncés les abus d’un pouvoir tyrannique auxquels le mérite et la vertu sont intolérables, prêt à les écraser à tous prix. Le roi d’Ormuz Atar, «homme féroce et sans frein», accable de sa haine jalouse Tarare, «soldat à son service, révéré pour ses grandes vertus», au point de lui ravir sa femme Astasie et de la faire enfermer dans son harem – faut-il préciser que le militaire généreux, lui, se contente de la sienne? On n’est pas loin de L’Enlèvement au sérail...


Mais il y a plus: le Prologue, allégorique selon les règles de la tragédie lyrique française, nous montre la Nature conversant avec son amant le Génie du feu, évoquant la naissance des hommes en des termes scientifiques et non pas religieux – on est à l’opposé de la future Création de Haydn, par exemple. Délégitimant toute hiérarchie, ils proclament l’égalité de tous à la naissance et la supériorité du «caractère» sur «l’état». La fin heureuse verra d’ailleurs le roi méchant mourir de fureur, victime de sa propre haine: alors qu’il jouit de voir bientôt mourir le couple malheureux, ses troupes l’abandonnent et veulent confier le trône à Tarare. Celui-ci accepte malgré lui, après avoir clamé que «le respect des rois est le premier devoir»... Après le tyran obscurantiste, le despote éclairé? En 1787, tout cela ne sent plus trop le soufre, mais, deux ans avant que les Lumières engendrent la Révolution, enfièvre des esprits déjà très échauffés: on s’empresse tellement pour voir Tarare que la force publique doit intervenir. Le livret variera au gré des événements: le héros, sous le Directoire, refusera le trône... Et l’œuvre se maintiendra, jusqu’en 1826.


Salieri se coule dans le moule de la tragédie lyrique, fondée sur la déclamation, sacrifiant tout à la continuité dramatique, au prix d’une diminution drastique du nombre des airs. Mais il peine, au début, à soutenir l’intérêt: c’est à partir du deuxième acte que son sens du théâtre se manifeste, jusqu’au dernier. Salieri, en effet, confirme son art des combinaisons de timbres, notamment dans l’Ouverture ou le divertissement du troisième acte – une «fête européenne». L’exotisme, lui, fait de nouveau penser à L’Enlèvement et aux turqueries de l’époque. Salieri manie aussi en expert le mélange des genres, avec le personnage de Calpigi, «chef des eunuques, esclave européen, chanteur sorti des chapelles d’Italie», auquel il offre de savoureux couplets sur un rythme de barcarolle. C’est lui qui a l’idée, afin de rapprocher Tarare d’Astasie, de le grimer en esclave noir et muet, que le sadique Atar veut introduire dans le lit d’Astasie pour la rabaisser. Celle-ci, ignorant la supercherie, convainc son esclave italienne Spinette de prendre sa place... Cela dit, malgré de réelles beautés, on ne situera pas Tarare à la hauteur des Danaïdes.


Christophe Rousset, que l’on préfère entendre ici que dans le Faust de Gounod, dirige la version de 1787, avec autant de pertinence et d’enthousiasme que Les Danaïdes et Les Horaces, toujours attentif aux couleurs. Mais ses Talens lyriques, dans la grande salle de la Cité de la musique, manquent parfois un peu d’ampleur, surtout les cordes – cela devait mieux sonner à Versailles. La distribution est exemplaire, même si le très drôle Calpigi d’Enguerrand de Hys est handicapé par un timbre trop nasal et si celui de l’excellent Tassis Christoyannis a tendance à se voiler, ce qui émousse l’autorité du grand prêtre Arthénée. Cyrille Dubois incarne un Tarare vaillant et sensible, Karine Deshayes une Astasie de tragédie, à l’aigu superbe mais très modeste à partir du médium, maîtresse de la charmante Spinette de Judith van Wanroij. Les seconds rôles ne se situent pas moins haut, à commence par l’Urson de Jérôme Boutillier. Mais le protagoniste de l’opéra reste Atar: idéal Jean-Sébastien Bou, qui réussit à ne jamais gauchir sa ligne de chant pour exprimer sa rage jalouse, sculpte superbement les mots, modèle, comme les autres, de déclamation à la française – à l’exception de Judith van Wanroij, au français perfectible. Le chœur est magnifique. On attend maintenant le CD, pour réécouter ce Tarare.



Didier van Moere

 

 

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