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Un acte de résistance

Zurich
Opernhaus
11/04/2018 -  et 8, 11, 16, 13, 21, 24*, 28 novembre, 1er décembre 2018
Wolfgang Amadeus Mozart : Così fan tutte, K. 588
Ruzan Mantashyan (Fiordiligi), Anna Goryachova (Dorabella), Andrei Bondarenko (Guglielmo), Frédéric Antoun (Ferrando), Rebeca Olvera*/Giulia Semenzato (Despina), Michael Nagy (Don Alfonso)
Chor der Oper Zürich, Ernst Raffelsberger (préparation), Philharmonia Zürich, Cornelius Meister (direction musicale)
Kirill Serebrennikov (mise en scène, décors et costumes), Evgeny Kulagin (mise en œuvre, chorégraphie), Nikolay Simonov (collaboration aux décors), Tatiana Dolmatovskaya (collaboration aux costumes), Franck Evin (lumières), Ilya Shagalov (vidéos), Beate Breidenbach (dramaturgie)


(© Monika Rittershaus)


La nouvelle production de Così fan tutte qui vient de voir le jour à Zurich est un manifeste contre la censure et l’arbitraire, un acte de résistance. Lorsqu’en 2016, Andreas Homoki, directeur de l’Opernhaus, a chargé Kirill Serebrennikov de mettre en scène l’opéra de Mozart, le réalisateur russe n’était pas encore assigné à résidence pour détournement de fonds publics. Il a été arrêté en août 2017 au prétexte d’avoir puisé dans la caisse d’une production du Songe d’une nuit d’été que les autorités russes lui reprochent de n’avoir jamais monté, malgré des preuves (critiques, vidéos) attestant que le spectacle a bel et bien eu lieu. A ce moment-là, il était inimaginable pour Andreas Homoki de se passer de metteur en scène, aussi envisageait-il d’accueillir une production clés en main de l’opéra si le Russe était toujours assigné à résidence au mois de février de cette année. L’échéance est arrivée et Serebrennikov n’était toujours pas libre, malgré des pétitions de la communauté artistique internationale. Le directeur a alors changé d’avis, estimant qu’il ne pouvait pas laisser tomber un homme qu’il considérait comme innocent. Les répétitions ont donc débuté fin septembre à Zurich sans le metteur en scène, mais avec un de ses assistants, le danseur Evgeny Kulagin. C’est en effet avec ce dernier que Serebrennikov avait commencé de préparer sa mise en scène avant son arrestation. A Zurich, Evgeny Kulagin a envoyé une quarantaine de vidéos de répétitions à l’avocat de Serebrennikov, qui les a transmises à son client sur une clé USB, le metteur en scène ayant le droit d’utiliser un ordinateur mais pas Internet ni le téléphone.


Kirill Serebrennikov et Evgeny Kulagin ont réalisé un spectacle fort, fourmillant d’idées originales, qui plus est réglé dans les moindres détails, sans aucun temps mort. Ferrando et Guglielmo n’échangent pas ici leur place auprès de leur fiancée respective, mais observent de loin le comportement des jeunes filles, courtisées par deux éphèbes musclés qui feront tout pour les mettre dans leur lit, ce qui donne lieu à des scènes très explicites. Despina se retrouve à deux reprises avec Fiordiligi et Dorabella pour des scènes à forte connotation politique : elle est assise, un dossier et un stylo à la main, entre les deux sœurs, couchées chacune sur un divan, ce qui évoque une séance de psychanalyse. Despina projette des vidéos montrant, d’abord, la soumission des femmes par la société, puis les combats féministes de ces dernières années, avec notamment des démonstrations des Femen. Au début de l’opéra, lorsque Fiordiligi et Dorabella apprennent que leurs fiancés vont partir à la guerre, elles les imaginent déjà tomber au combat, aussi assiste-t-on à une cérémonie funéraire avec couronnes, cercueils, incinération et urnes. Si les idées fusent, on peine cependant à dégager un concept global ou un dénominateur commun. Il faut espérer que Kirill Serebrennikov pourra un jour approfondir sa production, dans des conditions normales cette fois.


Sans être exceptionnel, le plateau vocal est de bonne tenue, et surtout particulièrement homogène. Il est composé de jeunes chanteurs qui sont aussi de bons acteurs, formant un ensemble harmonieux. S’il ne comprend pas de stars, ce qui renforce l’esprit d’équipe, deux interprètes s’en dégagent néanmoins : Michael Nagy en Don Alfonso du même âge que Guglielmo et Ferrando, à la présence scénique incontestable et au timbre généreux et bien projeté, ainsi que Frédéric Antoun, Ferrando aux accents élégants. Dans la fosse, Cornelius Meister n’a pas son pareil pour exacerber la mélancolie et le clair-obscur qui sous-tendent le chef-d’œuvre de Mozart.



Claudio Poloni

 

 

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