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Chopin toujours !

Strasbourg
Erstein (Musée Würth)
11/09/2018 -  
Wolfgang Amadeus Mozart : Sonate pour piano n° 11 en la majeur, K. 331
Robert Schumann : Davidsbündlertänze, opus 6
Claude Debussy : Images (Première et Seconde Séries)
Frédéric Chopin : Nocturne en si majeur, opus 62 n° 1 – Scherzo n° 2 en si bémol mineur opus 31

Jean-Marc Luisada (piano)


J.-M. Luisada (© Benoît Linder )


Jean-Marc Luisada arrive sur scène avec ses partitions, pratique devenue relativement peu courante aujourd’hui, a fortiori quand le programme a déjà été autant rodé en tournée auparavant. Mais à bien observer le pianiste, on s’aperçoit vite que seule sa discrète et efficace tourneuse de pages lit ces cahiers, qui paraissent plutôt disposés sur le pupitre à titre de talisman anti-trou de mémoire. Au moins pour les conséquents massifs Schumann et Debussy qui occupent l’essentiel du programme, Luisada joue manifestement par cœur. En revanche pour Mozart et Chopin, effectivement, la lecture directe reprend ses droits.


Or paradoxalement, c’est à ces moments-là que l’interprète paraît le plus convaincant, dans ces pièces archi-rebattues depuis les années de conservatoire, où il paraît aussi à l’aise qu’au fond de ses pantoufles. A commencer par une délicieuse Sonate K. 331 où rien ne pèse, toucher d’une luminosité très française (un perlé qui fait souvent penser à un Robert Casadesus où à une Marcelle Meyer), en dépit d’un emploi discret mais tout à fait perceptible et prémédité de la pédale forte à certains moment bien choisis. D’indiscutables Chopin aussi en fin de seconde partie, d’un maintien superbement aristocratique, y compris quand un certain esprit salonnard pourrait à tort s’imposer. On note en particulier, au moment des bis, une brillante Valse opus 18 où tout étincelle et pétille, appoggiatures impeccablement serrées et dynamiques, notes répétées dignes des entrechats d’une étoile de la danse... Une quasi fauréenne Mazurka en la mineur opus 17 n° 4 aussi, où le dévoilement progressif et gourmand des tensions harmoniques n’affadit en rien le discours, relancé en milieu de pièce par des décharges d’énergie soulignées d’une façon assurément personnelle mais efficace.


Au disque Jean-Marc Luisada vient de remettre sur le métier les Danses des Compagnons de David de Schumann, enregistrement passionnant, effectué en janvier 2018 à Berlin, qui vient de paraître sous étiquette RCA. Là encore une vision assez personnelle et dont l’accomplissement nous a paru plus évident à l’écoute de l’enregistrement de studio que ce soir, où une certaine crispation du toucher se fait vite ressentir, sur un Steinway harmonisé de toute façon sans grand moelleux. Perceptible dès les traits de croches du Lebhaft initial, cette nervosité perturbe encore davantage les redoutables Lebhaft et Balladenmässig médians, où le pianiste paraît prisonnier des tempi relativement resserrés qu’il s’impose, au point de sembler foncer « la tête dans le guidon ». Une passionnante démonstration de piano romantique, éminemment schumannienne dans sa façon de traquer le vertige, mais excessivement tendue et qui peut laisser percevoir çà et là une certaine fatigue dans l’articulation. On se laisse en revanche griser sans réserve par la magie de la deuxième pièce, Innig, tendre balancement paré d’une merveilleuse variété de couleurs vives, dont le discret rubato semble flotter dans l’air. Ces effets de carillon, tout en différenciations subtiles, sont peut-être ce qui nous fascine le plus dans le jeu pianistique de Luisada. On en retrouvera ce soir d’autres admirables spécimens dans les Images de Debussy : le début de «Cloches à travers les feuilles» évidemment, mais aussi le subtil balancement pentatonique du motif lunaire dans «Et la lune descend sur le temple qui fut». Deux cahiers d’Images que Luisada aborde en concert depuis semble-t-il assez peu de temps, ce qui s’entend encore dans une certaine mesure dans «Reflets dans l’eau», où les traits manquent parfois de netteté. En revanche les «Poissons d’or» sont d’une précision parfaite et l’ambiance surannée de l’«Hommage à Rameau» déjà bien cultivée, mais sans toujours réussir à éluder les quelques sensations de longueur facilement suscitées par cette pièce.


Tas de partitions empilées sur un coin du piano (et dont sortira notamment un joli bis surprise : une version pour piano seul de Salut d’amour de Sir Edward Elgar, tendre mélodie, délicieusement sentimentale), tourneuse de pages studieuse, attitude particulière du soliste, adossé de façon bien carrée sur une chaise relativement basse par rapport au clavier, rondeur souriante de saluts joviaux: tout au long de cette copieuse soirée un charme particulier opère. Mieux qu’un concert, un vrai moment de partage, dans le cadre privilégié du petit auditorium du Musée Würth à Erstein. Et aussi le coup d’envoi de deux semaines autour du piano que l’on nous promet riches de talents variés à découvrir, assortis de quelques têtes d’affiche plus incontournables : Marie-Josèphe Jude certainement, et puis le désormais rare Philippe Entremont (bientôt 70 ans de carrière : assurément une Sonate D. 960 de Schubert à suivre, sous les doigts de cet imprévisible vétéran).



Laurent Barthel

 

 

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