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Un Radeau qui ne prend pas l’eau

Bochum
Jahrhunderthalle
08/31/2018 -  et 1er, 2 septembre 2018
Hans Werner Henze : Das Floss der Medusa
Marisol Montalvo (La Mort), Holger Falk (Jean Charles), Tilo Werner (Charon)
ChorWerk Ruhr, Zürcher Sing-Akademie, Knabenchor der Chorakademie Dortmund, Sebastian Breuing (chef de chœur), Bochumer Symphoniker, Steven Sloane (direction)
Kornél Mundruczó (mise en scène), Márton Agh (décors et costumes), Melinda Domán (costumes), Felice Ross (lumières), Kata Wéber (dramaturgie)


H. Falk, S. Sloane, M. Montalvo (© Ursula Kaufmann/Ruhrtriennale 2018)


Située à quelques mètres de la Gerard-Mortier-Platz de Bochum, la Jahrhunderthalle abrite une nouvelle production du Radeau de la Méduse de Hans Werner Henze (1926-2012), donnée dans le cadre de la Ruhrtriennale.


Rares sont les notices biographiques à faire l’économie des circonstances de la première du Radeau de la Méduse tant elles cristallisent la radicalisation politique du compositeur: à Hambourg ce 9 décembre 1968, des heurts éclatent entre un groupe d’étudiants d’extrême-gauche et une partie du chœur. Henze, qui officie au pupitre, exprime son refus de diriger tant que la police n’aura pas quitté les lieux. Annulation. Il faudra attendre le 9 juin 1971 pour la création publique, à Vienne. Ces événements ne doivent toutefois pas occulter l’importance que revêt cet «oratorio populaire et militaire» (dédié à Che Guevara) dans la trajectoire stylistique de Henze: il se situe entre son très wagnérien opéra Les Bassarides, créé à Salzbourg devant un parterre des plus «bourgeois» (voir ici), et l’expérimentale Sixième Symphonie, créée à Cuba devant un public composé de jeunes révolutionnaires.


Henze et son librettiste Ernesto Schnabel ont réinterprété le drame maritime désormais célèbre à l’origine du chef-d’œuvre de Théodore Géricault. Emaillé de citations de Pascal et de Dante, le texte est surtout redevable à Brecht en ce qu’il garantit une distanciation entre la teneur allégorique du spectacle musical et le public.


Moins profonde que la griffe imprimée par Romeo Castellucci à Amsterdam en mars dernier, celle du Hongrois Kornél Mundruczó relève davantage de la mise en espace – élaborée selon les didascalies incluses dans la partition. Charon déroule le fil du récit en même temps qu’il assure le passage du monde des vivants à celui des morts, du côté gauche au côté droit de la scène. L’éloquent Tilo Werner, dont la partie, à l’instar de L’Histoire du soldat, est par endroits notée rythmiquement, doit de surcroit délester les âmes passées de vie à trépas de leurs aubes, quand il ne trempe pas les pieds dans un bassin (non sans avoir relevé son pantalon de smoking) parsemé de bateaux en papier. Marisol Montalvo (La Mort) prélève son tribut aveugle en dardant ses coloratures avec aplomb. Mais c’est à Jean-Charles (le mulâtre brandissant son drapeau rouge chez Géricault) qu’incombe le cœur émotionnel du récit: le baryton Holger Falk est en tout point digne du créateur (au disque) Dietrich Fischer-Dieskau, qu’il rappelle par l’intensité du verbe et l’accomplissement vocal, le timbre se faisant presqu’écorché lors du passage fantasmagorique sous l’œil indifférent de la lune; Jean Charles rejoint ici Wozzeck, son frère de misère. Steven Sloane dirige avec maestria un Orchestre symphonique de Bochum et une triple formation chorale remarquablement préparés.


Parmi les autres moments forts, citons celui où le sable de la presqu’île figurée à l’avant-scène se résorbe pour découvrir... un amas de squelettes, et le geste toujours efficace (comment ne pas songer au Ring légendaire de Chéreau?) sommant les musiciens de fixer le public en silence à la fin de la première partie. La vidéo, jamais envahissante, oscille entre paysages de la vaste mer et portraits en gros plan de migrants, dont la tragédie rejoint celle vécue par les naufragés du radeau. Plus sobre que Castellucci, Mundruczó réserve cette carte compassionnelle pour la toute fin. Une question demeure: la montée aux cordes qui referme la représentation ne figure ni dans l’enregistrement du compositeur (Deutsche Grammophon), ni sur la partition – laquelle indique un impressionnant crescendo aux percussions, avec appoint des guitares électriques, piano et orgue, sur le rythme «Hô Chi Minh» (longue, longue, brève-brève-longue). Ainsi amendée, l’œuvre gagne en effusion lyrique ce qu’elle perd sans doute en ardeur révolutionnaire.



Jérémie Bigorie

 

 

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