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Deux Bartók en un

Bruxelles
La Monnaie
06/08/2018 -  et 10, 13, 16, 19, 21, 24 juin
Béla Bartók: A Kékszakállú Herceg Vára, opus 11, Sz. 48 – A Csódalatos Mandarin, opus 19, Sz. 73

Gábor Vass (Prologue), Ante Jerkunica (Barbe-Bleue), Nora Gubisch (Judith), Vincent Clavaguera-Pratx, Merche Romero, Brigitta Skarpalezos (Prostituées), Dan Mussett (Proxénète), Norbert De Leocker (Un homme âgé), Amerigo Delli Bove (Un jeune homme), James Vu Anh Pham (Un mandarin)
Chœurs de la Monnaie, Martino Faggiani (chef des chœurs), Orchestre symphonique de la Monnaie, Alain Altinoglu (direction)
Christophe Coppens (mise en scène, décors), Peter Van Praet (lumières), Jean-Baptiste Pacucci, Simon Van Rompay (vidéo)


(© Van Den Burght)


La saison à la Monnaie se termine avec un troisième diptyque, après Le Prisonnier/Das Gehege en janvier et Cavalleria rusticana/Pagliacci en mars. Cette nouvelle production du Château de Barbe-Bleue (1918) marque le retour de Christophe Coppens, qui a conçu l’année dernière une Petite Renarde rusée fort originale. L’artiste plasticien a aussi des choses à nous dire sur l’opéra de Bartók, mais son texte, dans le programme, captive plus que sa mise en scène : froide, monotone, elle ne provoque en nous aucune émotion. A cause d’une direction d’acteurs moins fouillée que dans l’opéra de Janácek, l’esthétique supplante toute autre considération. Les personnages évoluent dans une impressionnante structure semblable à ces palais des glaces des fêtes foraines et constituée de neuf modules, ce qui rappelle le décor à plusieurs niveaux dans le troisième acte de Lohengrin quelques semaines auparavant. Barbe-Bleue et Judith ne se croisent qu’à la fin, lorsque le duc quitte sa chaise-roulante et se met à marcher sans difficulté, par nous ne savons quel miracle. Cette scénographie trop abstraite bénéficie de beaux éclairages, du reste pas toujours très inspirés – la lumière rouge symbolise le sang –, mais il aurait fallu exploiter davantage les effets de miroir pour produire plus d’ambiguïté, et surtout conférer à ce couple impossible un relief psychologique mieux marqué. Christophe Coppens se profile moins, ici, en metteur en scène qu’en designer.


Il y a vingt ans, la Monnaie avait associé cet opéra avec deux autres œuvres de Bartók, Mikrokosmos et le Quatrième Quatuor, dans une chorégraphie d’Anne-Teresa de Keersmaeker. C’est Le Mandarin merveilleux (1926) qui occupe cette fois l’autre moitié du spectacle, un couplage judicieux, déjà tenté ailleurs (à Metz, Angers-Nantes et Genève). Contraste total : le ballet-pantomime se déroule dans le même décor, mais le ton se révèle autrement vif et déjanté, et les couleurs sont beaucoup plus criardes et kaléidoscopiques. Forçant exagérément le trait d’une façon, à la longue, lassante, la mise en scène opte pour une approche loufoque et grotesque qui occulte malheureusement beaucoup le caractère sulfureux de cette histoire de prostituées, de proxénète et d’un mystérieux client au pouvoir surnaturel. Les filles de joie, dont un travesti, endossent une combinaison imitant la couleur de la peau, pour éviter qu’elles paraissent nues, ce qui bien sûr réduit quasiment à néant le caractère érotique de cette pièce parmi les plus palpitantes du compositeur. La mise en scène comporte des effets lumineux recherchés, à la limite de l’écœurement. Elle recourt aussi à la vidéo, mais sans en abuser, notamment au tout début de chaque partie, afin de produire un effet symétrique : d’abord une bouche – celle du narrateur – à travers un trou formé dans un miroir brisé, ensuite, un œil, dans le même orifice. Et c’est un nombre incalculable de poupées gonflables que le proxénète extirpe vigoureusement d’un vagin géant. A la fin, Barbe-Bleue, en quête de chair fraîche, réapparaît dans son fauteuil roulant. Christophe Coppens, en tout cas, croit en son concept et s’y tient. C’est finalement l’essentiel.



(© De Keerskmaeker)


Le bilan musical ? Plutôt positif, bien que le jeu scénique et la voix de Nora Gubisch restent avant tout une affaire de goût. Ante Jerkunica se montre, par contre, convaincant en Barbe-Bleue : cette basse croate, souvent acclamée à l’Opéra des Flandres, plus rarement sur la scène bruxelloise, dévoile un timbre magnétique et captive par son physique et son chant, alors que sa partenaire laisse indifférent. Un orchestre plus virtuose et somptueux que celui de la Monnaie restituerait la richesse de l’écriture de Bartók avec davantage de détails et de netteté, mais sous la direction d’Alain Altinoglu, soucieux de clarté et de souplesse, les deux œuvres conservent leur impact puissant. En dents de scie dans Le Château, où des passages peu habités alternent avec d’autres plus intenses, la prestation présente un niveau de qualité égal dans le ballet, qui réserve de saisissants déchaînements de violence et dans lequel intervient un brillant clarinettiste – les autres bois et les cuivres offrent également de notables prestations. Mentionnons dans Le Mandarin la contribution anecdotique des chœurs qui seront fort sollicités, le 30 juin, dans la Neuvième Symphonie de Beethoven, prélude à une intégrale la saison prochaine.



Sébastien Foucart

 

 

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