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Des Gueux en forme ! Paris Bouffes du Nord 04/20/2018 - et 21, 24, 25, 26, 27, 28 avril, 2, 3 mai (Paris), 6, 7, 8 juillet (Spoleto), 16, 17, 18, 19 août (Edimbourg), 11, 12 (Clermont-Ferrand), 27, 28, 29 septembre (Luxembourg), 3, 4, 5, 6, 7 (Genève), 19, 20 (Pise), 27, 28 (Novara) octobre, 1er, 2 (Athènes), 7, 8, 9 (Angers), 13 (Saint-Brieuc), 16, 17 (Saumur), 20 (Dinan), 23, 24 (Vannes), 27 (Saint-Nazaire), 30 novembre, 1er (Le Mans), 4, 5 (La Roche-sur-Yon), 8 (Laval), 11, 12, 13, 15 (Nantes), 19, 20, 21 (Caen) décembre 2018, 11, 12, 13 (Versailles), 16, 17, 18, 19 (Rennes), 22, 23 (Quimper), 26, 27 (Reims) janvier, 2, 3 (Massy), 5, 6 (La Rochelle) février 2019 John Gay et Johann Christoph Pepusch : The Beggar’s Opera (nouvelle version Ian Burton et Robert Carsen, conception musicale William Christie) Robert Burt (Mr. Peachum), Beverley Klein (Mrs. Peachum, Diana Trapes), Kate Batter (Polly Peachum), Benjamin Purkiss (Macheath), Kraig Thornber (Lockit), Olivia Brereton (Lucy Lockit), Emma Kate Nelson (Jenny Diver), Sean Lopeman (Filch, Manuel), Gavin Wilkinson (Matt), Taite-Elliot Drew (Jack), Wayne Fitzsimmons (Robin), Dominic Owen (Harry), Natasha Leaver (Molly), Emily Dunn (Betty), Louise Dalton (Suky), Jocelyn Prah (Dolly)
Les Arts Florissants, William Christie*/Florian Carré (clavecin, direction musicale)
Robert Carsen (mise en scène), James Brandily (scénographie), Petra Reinhardt (costumes), Rebecca Howell (chorégraphie), Robert Carsen, Peter van Praet (lumières)
(© Patrick Berger)
Véritable événement de ce printemps, la création de la nouvelle production de L’Opéra des gueux est accueillie aux Bouffes du Nord jusqu’au 3 mai (un hommage à Peter Brook, figure indissociable des lieux, qui adapta en 1953 l’ouvrage au cinéma?), avant une vaste tournée en Pays de la Loire et en Bretagne – soit vingt-quatre dates à l’initiative d’Angers Nantes Opéra et de l’Opéra de Rennes. Il sera aussi possible de découvrir ce spectacle ailleurs en France, ainsi qu’en Italie, Ecosse, Luxembourg, Suisse ou Grèce: excusez du peu! On doit à l’excellent tandem composé de William Christie et Robert Carsen la pleine réussite de ce projet, tant l’énergie du premier associée à l’imagination très à propos du second font mouche tout du long.
Ecrit en 1728 par John Gay, L’Opéra des gueux a été l’un des plus grand succès public du XVIIIe siècle, du fait d’une satire sociale mordante où l’ironie tient une place centrale. A rebours des pièces moralistes traditionnelles, cet anti-opéra moque l’idéalisme des amoureux et naïfs, tous torturés par le cynisme des individualistes triomphants. Autour des aventures initiatiques du jeune truand Macheath, le théâtre prend une place prépondérante au détriment du chant, conforme en cela à l’esprit initial du projet qui ne devait pas comporter d’accompagnement orchestral. C’est en effet seulement une semaine avant la première, que Johann Pepusch fut chargé de composer une brève ouverture, quelques interludes et un accompagnement orchestral aux airs tout aussi concis. On note cependant, dans cette version aux dialogues modernisés mais fidèle à la partition originale, la présence de quelques airs a capella, comme le voulait initialement Gay. A l’instar du livret, la musique d’essence populaire se tourne davantage vers le XVIIe siècle et multiplie les références folkloriques, évoquant en maints endroits l’actuelle country music américaine.
La proximité marquante avec la comédie musicale se retrouve dans ces différentes influences, notamment les thèmes traités, de l’exploration des bas-fonds (qui influencera Bernstein dans On the Town et West Side Story surtout) à la mise en avant de mythologies populaires (dont se rappellera Britten avec Paul Bunyan – voir notamment la récente production à Francfort. Robert Carsen se saisit avec son éclat habituel de cette histoire forte, imaginant un décor entièrement constitué de cartons (jusqu’au clavecin de William Christie!), censé représenter, à l’initial, l’entrepôt du truand Mr. Peachum. De multiples surprises vont ensuite animer ce décor, figurant tantôt la chambre de la fille de Mr. Peachum, un bar louche, etc. Toujours aussi précis dans les moindres détails, Carsen va jusqu’à habiller en tenue sportive les huit musiciens, tout comme William Christie, dont l’autodérision l’autorise à se voir affublé d’une queue de cheval aux faux airs du Beauf de Cabu!
D’abord très cheap, les costumes des interprètes dévoilent peu à peu une richesse inattendue, mettant en valeur la vulgarité de Mrs. Peachum ou les oppositions savamment distillées entre les soupirantes, tout en multipliant les références savoureuses: la scène des prostituées, où l’on peut imaginer Madonna, Grace Jones ou encore Catwoman, est ainsi un régal au niveau visuel. Les scènes d’ensemble apparaissent ainsi les plus réussies, tant le travail au niveau de la cohésion de groupe force l’admiration. De leur côté, les rôles secondaires masculins jouent la carte d’une énergie rythmique marquée par une chorégraphie bondissante. Quelques pas de hip-hop et quelques roulades foraines viennent admirablement animer cette belle troupe.
Si le spectacle paraît assez convenu en son début, il prend rapidement son envol pour pleinement convaincre à l’issue de la représentation. Les modernisations percutantes du texte nous renvoient au Brexit et au mariage princier imminent, avant l’avènement du Labour au pouvoir – délicieux anachronismes à savourer sans modération. On notera cependant que les amateurs d’opéra seront certainement moins satisfaits que ceux de théâtre, du fait du déséquilibre noté plus haut, mais également d’une musique charmante mais vite oubliable (et ce malgré l’incontestable savoir-faire de William Christie). Restent la force de la satire et l’énergie visuelle déployée par Carsen, dont s’empare une formidable troupe d’interprètes, menée par le duo impeccable des parrains Robert Burt (Mr. Peachum) et Kraig Thornber (Lockit). Beverley Klein compose une inimitable et truculente Mrs. Peachum, aux imperfections vocales vite pardonnées. Dans le rôle principal, Benjamin Purkiss (Macheath) impose un timbre superbe, tout autant qu’un chant un peu débraillé. Rien d’indigne bien sûr, mais gageons que la suite des représentations devrait lui permettre de donner davantage de subtilité dramatique à son interprétation. Les deux jeunes soupirantes sont parfaites, tout comme la superlative Jenny Diver d’Emma Kate Nelson.
Florent Coudeyrat
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